Centre d'Étude du Futur

Le 11 du 11

Lorsque les hominidés cèdent la place aux humanoïdes[1]

 

J’aime me rappeler que, lorsque j’étais jeune (il y a de cela bien longtemps !), dans chaque ascenseur d’un service public ou d’une grande surface, un homme en livrée était chargé d’accueillir les visiteurs et les clients. Il leur ouvrait les portes de l’ascenseur et les refermait, puis solennellement poussait sur les boutons pour que chacun puisse arriver à bon port. Aujourd’hui, on a déjà testé l’autobus du futur qui se passera de conducteur. Ainsi on est passé d’un monde à un autre. D’un monde où l’homme était nécessaire et fier de l’être, et où chacun avait son rôle à jouer, sa mission à accomplir, à un autre monde où l’objectif est de se passer de l’homme.

En effet, les hominidés que nous sommes sont entrés dans ce qu’on peut appeler une « époque de barbarie autodestructrice ». Sans doute, le pan-terrorisme est-il une tragique manifestation de cette disparition programmée, mais il est loin d’être la seule. D’ailleurs, ce pan-terrorisme ne peut-il pas être analysé comme une sorte de cri d’alarme désespéré dénonçant notre civilisation mercantile, où il n’y a plus d’autre Paradis que les paradis fiscaux !

La détérioration de notre écosystème en est une autre manifestation et non des moindres. L’ampleur des atteintes à l’environnement, se manifestant notamment par le réchauffement climatique et le dérèglement rapide, généralisé et irréversible des cycles naturels de notre biotope, a un tel impact sur notre planète que des scientifiques de haut niveau en ont conclu que, depuis le milieu du XXe siècle[2], nous étions entrés dans une nouvelle ère géologique baptisée anthropocène[3]. Cette notion, forgée à l’origine par le géochimiste néerlandais Paul Crutzen (prix Nobel de chimie en 1995) et le géologue et biochimiste américain Eugene Stoermer, cristallise une désespérance généralisée concernant l’avenir de cette terre, cette terre qui nous a été donnée en héritage et qui est de plus en plus menacée, comme l’évoque si bien en 2013 le Pape François dans son encyclique Laudato si’. Agriculture industrielle extensive et intensive, usage abusif de pesticides, recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM) destinés à l’alimentation humaine et animale, élevage de masse, surpêche, fulgurante extinction des espèces, déforestation, pollution chimique de l’air, des eaux, des sols, envahissement des matières plastiques non-dégradables, exploitation de la puissance atomique comme énergie et comme arme, déchets nucléaires dont on ne sait comment se débarrasser, cataclysmes environnementaux récurrents… Toutes ces dérives et leurs conséquences font naître et entretiennent, dans l’esprit de l’homme contemporain, un sentiment de peur, voire de consternation ou même de dégoût. On comprend que certains parlent de l’ère du poubellien !

Un troisième facteur d’autodestruction est celui du transhumanisme. Nous voilà entrés dans l’ère des robots. L’homme s’ingénie à créer une nouvelle espèce de machines destinées à le remplacer : les transhumains. Dans cette perspective, les hominidés que nous sommes n’auront plus d’autre avenir que de se mettre au service des transhumains, voire (est-ce pire ?) d’être purement et simplement jetés à la poubelle par les humanoïdes qu’ils auront créés. Place aux robots-tueurs programmés pour nous exterminer, nous anéantir...

Au-delà de ces trois facteurs, s’en profile un quatrième qui s’incruste insidieusement dans la mentalité de nos contemporains. Ce qu’on a appelé le « mariage pour tous », laisse se profiler une autre sorte de mariage : le « mariage pour personne ». Deux êtres de même sexe ne peuvent procréer. Si les unions homosexuelles se répandaient, voire tendaient à se généraliser (pourquoi pas ?), ce serait un autre mode d’extinction programmée de la race humaine. En effet, hors le recours à une banque de sperme et à l’insémination artificielle, ce serait la fin du « croissez et multipliez-vous ». Utopique ? Pas tant que cela ! Voyez plutôt…

De la polygamie (plusieurs épouses et beaucoup d’enfants), on est passé à la monogamie (une épouse et moins d’enfants). Aujourd’hui certains prônent la sologamie (fini le couple ! et donc aucun enfant). Eh oui, on se marie, mais on se marie avec soi-même. On s’aime soi-même, on se chouchoute, on se promet fidélité. Et l’on fête solennellement ces auto-unions nouvelles : on invite famille, amis et amies et, en leur présence, on se dit « oui » et on se passe la bague au doigt. Puis, on part en voyage de noces avec soi-même. Voilà une vingtaine d’années que se pratique la sologamie, en France, en Italie, aux États-Unis, au Canada, au Japon… Ce sont surtout des femmes vingtenaires et trentenaires qui optent pour ce genre d’auto-union. Plus besoin pour elles de Prince Charmant pour vivre un conte de fée. Des hommes aussi, moins nombreux, décident de vivre l’amour avec eux-mêmes en toute liberté, estimant qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Vous connaissez sûrement l’opération annuelle 11.11.11. grâce à laquelle des bénévoles récoltent des fonds en faveur du tiers-monde pour plus de justice et moins de pauvreté. Elle a été lancée en Belgique le 11 novembre 1966 à 11 h. D’où son nom 11.11.11. Mais connaissez-vous la fête du 11.11. qui est célébrée en Chine, depuis les années 1990 ? C’est la fête des célibataires, symbolisée par quatre 1, individualité + individualité + individualité + individualité. L’armistice de 1918 ne présente évidemment aucun intérêt dans l’imaginaire des chinois qui ont rebaptisé cette fête : la fête des branches sèches[4]. Célibataires et fiers de l’être ! Ce n’est pas le mariage pour tous, mais le célibat pour tous. Une nouvelle façon de consacrer la fin de notre humanité, la fin des hominidés. Et sur un mode parfaitement non-violent… Place aux humanoïdes.

 

Une nouvelle renaissance est-elle encore possible ? Et laquelle ?

Lorsque l’on prend en compte les vastes territoires où « sévit » toujours la surpopulation et même la démographie galopante, il apparaît manifestement que notre humanité n’est pas encore à la veille de son extinction. Peut-être est-ce dans ces espaces-là que surgiront des voies nouvelles d’espérance, comme des surgeons des traditions ancestrales qui y sont encore préservées et cultivées. La primatologue et ethologue britannique Jann Goodall, qui a aujourd’hui plus de 83 ans, passe sa vie à parcourir le monde infatigablement pour partager son espoir dans l’avenir de notre planète. Selon elle, les jeux ne sont pas faits. Même la nature, de plus en plus sacrifiée, recèle une puissance de résilience qui peut lui permettre, comme le phénix, de « renaître de ses cendres ».

 

Sully FAÏK

Le 6 décembre 2017

(Fête de la Saint-Nicolas, avec ou sans croix !)

 

 

[1]Merci à Raymonde Berte, à Jean-Marie Dumont et à Marie-Pravin Ertz qui ont accueilli favorablement le projet de ce billet d’humeur, billet d’humour. Ma reconnaissance s’adresse particulièrement à mon épouse, Clémentine Nzuji pour son avis critique et ses excellentes suggestions, qui m’ont permis d’élargir et d’approfondir le sujet. Enfin, il me faut dire combien je suis redevable à Gaëlle Faïk, qui a relu patiemment plusieurs versions de mon texte et qui, grâce à la pertinence de ses nombreuses remarques, tant sur le fond que sur la forme, m’a permis de présenter ce billet dans la forme achevée que voici.

 

[2]1945, premiers essais nucléaires et premières explosions de bombes nucléaires aux États-Unis. Certains font remonter le début de cette ère à 1784, date du brevet de la machine à vapeur de James Watt. 1945 serait alors le début de la phase II de l’Anthropocène. D’autres chercheurs font remonter encore beaucoup plus tôt le début de cette ère.

 

[3]Terme forgé à partir du grec anthropos (homme) et kainos (nouveau).

 

[4]Guānggùn Jié.