Il existe des écrits que le temps n'efface pas. Ainsi, les quelques lignes ci-dessous, qui interpellent avec force ; et ce, depuis près de 500 ans !
... Chose vraiment surprenante, c'est de voir des millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés... N'est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d'hommes, non seulement obéir, mais ramper ?...
... Ce sont donc les peuples qui se laissent, ou plutôt se font, garrotter. Puisqu'en refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C'est le peuple qui s'assujettit et se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d'être sujet ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse... La liberté, ces hommes la dédaignent, uniquement ce me semble, parce que s'ils la désiraient, ils l'auraient ; comme s'ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu'elle est trop aisée... Soyez donc résolus à ne plus servir, et vous serez libre...
... La nature... nous a tous créés de même et coulés en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt tous frères... En faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle a voulu faire naître en eux l'affection fraternelle et les mettre à même de la pratiquer ; les uns ayant puissance de porter secours et les autres besoin d'en recevoir... Dans le partage qu'elle nous a fait de ses dons, elle a prodigué quelques avantages de corps et d'esprit, aux uns plutôt qu'aux autres, ... pour nous aborder et fraterniser ensemble, et par la communication et l'échange de nos pensées nous amener à la communauté d'idées et de volontés...
... Que dire encore ? Que la liberté est naturelle et, qu'à mon avis, nous naissons avec notre liberté, mais aussi avec la volonté de la défendre...
... Pour que les hommes... se laissent assujettir, il faut de deux choses l'une : ou qu'ils soient contraints ou qu'ils soient abusés... Abusés, ils perdent aussi leur liberté ; mais c'est alors moins souvent par la séduction d'autrui que par leur propre aveuglement...
... Il est dans la nature de l'homme d'être libre, et de vouloir l'être, mais il prend très facilement un autre pli, lorsque l'éducation le lui donne... Ainsi, la première raison de la servitude volontaire est l'habitude...
... Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce, étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. Ce système, cette pratique, ces allèchements étaient les moyens qu'employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets dans la servitude. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beau tous ces passe-temps, amusés d'un vain plaisir qui les éblouissaient, s'habituaient à servir...
... Enfin, il se trouve un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable que de ceux auxquels la liberté serait utile... Dès qu'un roi s'est déclaré tyran, s'en vient tout le mauvais, toute la lie du royaume ... Ceux qui sont possédés d'une ardente ambition ou d'une notable avarice, se groupent autour de lui, le soutiennent pour avoir part au butin, et être... autant de petits tyranneaux... C'est ainsi que le tyran asservit les sujets : les uns par les autres...
... L'amitié... c'est une chose sainte : elle ne peut exister qu'entre gens de bien... Ce qui rend un ami assuré de l'autre, c'est la connaissance de son intégrité... Il ne peut y avoir d'amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l'injustice... Entre méchants, lorsqu'ils s'assemblent, c'est un complot et non une société. Ils ne s'entretiennent pas, mais s’entre craignent. Ils ne sont pas amis mais complices...
Ces extraits – traduits en français moderne - proviennent du « Discours de la servitude volontaire », rédigé par Étienne de la Boétie, en l'an 1550. Un texte petit par la taille (une quinzaine de pages) mais dont le contenu, siècle après siècle, a conservé toute sa tonique pertinence. De fait, qui interroge notre présent souscrit sans réserve à cette lucidité de combat, à cet épaulement offert par une époque lointaine. Un cadeau donc, parvenu jusqu'à nous ; lequel encourage à parcourir ce chemin qui mène à tous les affranchissements...
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