Centre d'Étude du Futur

« La crise mondiale déclenchée par la pandémie de coronavirus n'a pas d'équivalent dans l'histoire moderne ...

Des millions d'entreprises risquent de disparaître et de nombreuses industries sont confrontées à un avenir incertain ; seules quelques-une prospéreront. Sur le plan individuel, pour beaucoup, la vie telle qu'ils l'ont toujours connue vacille à une vitesse alarmante ...

Un monde nouveau va émerger, et il nous faut à la fois en imaginer et en dessiner les contours.

Au moment où nous écrivons ces lignes (juin 2020), la pandémie continue à s'aggraver à l'échelle mondiale. Beaucoup d'entre nous se demandent quand les choses reviendront à la normale. Pour faire court, la réponse est jamais. La normalité d'avant la crise est « brisée » et rien ne nous y ramènera, car la pandémie de coronavirus marque un point d'inflexion fondamental dans notre trajectoire mondiale. Certains analystes parlent d'une bifurcation majeure, d'autres évoquent une crise profonde aux proportions « bibliques », mais la substance reste la même : le monde tel que nous le connaissions pendant les premiers mois de 2020 n'est plus, dissous dans le contexte de la pandémie. Nous allons faire face à des changements radicaux d'une telle importance que certains experts parlent d'ères « avant coronavirus » et « après coronavirus » ...

Beaucoup de nos croyances et de nos hypothèses sur ce à quoi le monde pourrait ou devrait ressembler seront ébranlées au passage...

En réalité, la pandémie exacerbe considérablement les dangers préexistants auxquels nous n'avons pas réussi à faire face de manière adéquate depuis trop longtemps. Elle accélérera également les tendances inquiétantes qui se sont développées sur une longue période...

Toutefois, dans le monde hautement interconnecté et interdépendant d'aujourd'hui, l'impact de la pandémie ira bien au-delà des statistiques (déjà stupéfiantes) concernant « simplement » les décès, le chômage et les faillites... ».

            Les quelques lignes qui précèdent, se trouvent dans l'introduction du second livre rédigé par Klaus Schwab, intitulé « COVID-19 : La grande réinitialisation ». Lequel ouvrage, apparaît cependant cosigné par Thierry Malleret. Ce dernier, dirige une société spécialisée dans l'analyse prédictive et à destination des investisseurs, dirigeants de grandes entreprises, décideurs de toutes nationalités. De plus, pareil collaborateur fait également partie de l'équipe organisatrice du Forum Économique Mondial qui se tient ponctuellement à Davos.

Le terme « initialisation », provient du domaine informatique. Il désigne ce qu'il convient de faire avant la mise en route d'un ordinateur. Dès lors, parler de « ré-initialisation » sous-entend qu'il faut recommencer la procédure, que l'on s'y est mal pris, qu'il y a lieu d'agir autrement.

            Le mot anglais « reset », désigne parfaitement semblable rectification d'un processus défectueux. D'autre part, puisqu'il se voit associé à la COVID-19, un tel remaniement s'accomplirait grâce à la pandémie. En tous cas, Klaus Schwab ne cesse de l'affirmer, à longueur de pages.

Le porte-parole de Davos n'est pas seul lorsqu'il s'exprime de la sorte. En effet, au moment même où il couche ses idées sur papier, soit en juin 2020, la directrice du Fond Monétaire International annonce, elle aussi, que l'heure du « great reset » est arrivée ! Or, lorsque Madame Kristalina Georgieva parle, beaucoup de par le monde l'écoutent. Car sa tâche principale à la tête du FMI, consiste à garantir la stabilité économique et financière de la planète.  

            Il arrive que l'appât du gain s'épanche en passion dévorante. Une démesure, qui ne se contente pas d'entasser des richesses. Elle accumule pareillement de folles imprudences. A trop vouloir gagner, on risque de tout perdre. Et ce que ne nous disent pas Klaus Schwab et Kristalina Goergieva, c'est que le système capitaliste menace à présent de s'effondrer. Cela, pour avoir eu les dents bien trop longues, pour s'être dangereusement fourvoyé dans des voies sans-issue.

Nous en sommes là aujourd'hui...                       

                                             L'impasse économique

            Lorsque l’État s'implique dans une fonction commerciale, et joue ce rôle avec succès, les dogmes boutiquiers paraissent moins convaincants. De plus, toute entreprise publique se voit à l'abri de l'avidité mercantile, échappe à la mainmise des actionnaires.

Dès la chute du communisme, et avec la complicité de l'Union européenne, l'engeance politique s'affaira pour vendre maintes activités étatiques jugées potentiellement rentables. Aussi, des services essentiels qui étaient propriétés de la communauté, car mis en oeuvre avec l'argent des contribuables, allaient désormais fonctionner au seul profit d'intérêts privés.

D'abord, advint le bradage de parastataux gérant les domaines d'importance vitale : électricité, eau, gaz, télécommunications, transports en commun ... Ensuite, au gré d'accords paraphés dans les divers pays, on se mit à solder banques, caisses d'épargne, organismes de crédit, assurances, immeubles, ensembles de bureaux, péages d'autoroutes, aéroports ... Mais le comble viendrait de l’État grec, lequel irait jusqu'à monnayer la possession d'îles entières !

            « L'intérêt du consommateur » fut l'argument utilisé pour justifier la privatisation de ces services d'intérêt général. Mais il s'agissait là de propagande mensongère. Pareille mystification cependant, atteindrait des sommets avec l'étonnante « théorie du ruissellement ».

Selon cette nouvelle imposture, il fallait réduire drastiquement l'impôt, et particulièrement celui pénalisant les riches. De même, se disait nécessaire l'allègement considérable des charges patronales. Celles-ci, prétendait-on, handicapaient les entreprises. Alors, grâce à pareilles largesses, leurs heureux bénéficiaires pourraient sans compter, investir, dépenser, embaucher. Avec pour résultat que cet argent non-perçu par le fisc, « dégringolerait » finalement dans la poche de chaque citoyen, « ruissellerait » pour le plus grand profit de tous.

En réalité, une partie de ce pactole, soustrait à la collectivité, s'expatria dans les paradis fiscaux ou se dirigea vers la spéculation. Tandis qu'une autre portion de l'argent ainsi subtilisé, fut aussitôt prêté  -  par ces mêmes profiteurs - aux États dépouillés.

            La doctrine ultralibérale préconisait aussi un « libre-échange » généralisé. Or, au niveau mondial, acheter et vendre sans la moindre contrainte, réclamait la quasi disparition des frontières. Et cela nécessitait des règles commerciales différentes.

Avant tout, cette nouvelle orthodoxie économique interdisait l'habituelle perception de droits d'entrée sur toute marchandise d'origine étrangère. En complément, il y avait cette obligatoire suppression des quotas. On ne pouvait plus filtrer ou freiner les importations,  même si celles-ci se révélaient préjudiciables aux industries locales. Ces dernières se voyaient donc complètement désarmées devant une possible concurrence déloyale issue de pays tiers.

Un autre tabou proscrivait toute aide aux entreprises nationales, même si celles-ci se trouvaient en difficulté. D'ailleurs l'Union européenne infligeait des amendes substantielles, aux États communautaires qui se rendaient coupables de tels coups de pouce et sauvetage.

            Détruire tout favoritisme de nature patriotique, se réalisait encore par un strict contrôle des marchés publics. Maintenant, lorsqu'un État avait besoin de fournitures, il devait le faire savoir à grands renforts de publicité. Puis, se voyait obligé d'accepter l'offre la moins chère, fût-ce-t-elle venir de l'autre bout du monde.

A partir de là, pour les entreprises des nations industrielles du Nord de la planète, un choix s'énonçait clairement. Ou bien, on tâchait de vendre ses produits en s'engageant dans un combat commercial inégal. Ou bien, on fabriquait des marchandises peu coûteuses à l'achat, en expatriant son usine vers ces lointaines contrées autorisant les salaires infimes.

            La mondialisation de l'économie reposait également sur cet élément doctrinal majeur : l' « avantage comparatif ». De sorte que la plupart des travailleurs du monde entier se retrouvaient en concurrence les uns avec les autres. Dès lors, aux constantes menaces pesant sur l'emploi, s'ajoutaient conditions de travail détériorées et hausses salariales suspendues. Ce qui installait de façon permanente parmi les actifs, angoisse, stress, burn-out, dépression.

Ce labeur intensif, cette nocive pression constante, ne pouvaient cependant pas empêcher faillites et délocalisations. Avec pour résultat que l’État avait à secourir financièrement nombre de travailleurs naguère assidus, mais à présent convertis en malades chroniques ou chômeurs de longue durée.

Coincé entre charges supplémentaires et rentrées insuffisantes, l'État-providence maintenant se voyait menacé. En conséquence, il fallait absolument rogner les dépenses publiques. Et donc, réduire le nombre de fonctionnaires, retarder les départs à la retraite, diminuer les allocations de chômage, resserrer le budget des soins de santé, reporter le développement de nombreuses infrastructures, pondérer les subsides accordés à l'enseignement, la justice, la recherche, la culture, la pratique sportive ...

            Après quelques décennies de ce commerce international débridé, la misère reculait certes dans les pays habituellement sous-développés. Par contre, le nombre des démunis ne cessait de croître au Nord de la planète. Or, c'est avec ces avides consommateurs des nations industrielles que tournaient à plein régime les récents ateliers du Sud. Mais cette situation problématique inquiétait surtout ceux qui profitaient de ces échanges mondialisés. En cas de récession générale, ceux-là ne pourraient plus amasser des fortunes. 

La solution, passait par le crédit. Soit promouvoir cet endettement propice aux achats compulsifs nordistes. Aussi, un accord entre banquiers privés leur permit de s'approprier les banques centrales. Car, en ces lieux, se fabriquait la monnaie. Autrefois privilège exclusif des États, la « planche à billets » inonderait ainsi en espèces les pays acquis à la consommation sans frein.

Entraînée par une telle avalanche de liquidités, déboulait alors une inflation galopante.

            A présent, pareil déversement d'argent frais se complète par des taux d'intérêt ridicules. Parce qu'emprunter doit s'éprouver comme opération tout-à-fait profitable : le remboursement d'une dette ne peut se majorer de frais dissuasifs. Or, pour arrêter cette flambée des prix, il faudrait précisément augmenter le coût du crédit. Et, bien sûr, mettre un frein à la création monétaire gigantesque. Mais alors, les États, les entreprises, les particuliers, n'arriveraient plus à vivre au-dessus de leurs moyens, auraient par ailleurs de grosses difficultés à rembourser leurs créanciers, et à recourir à de nouveaux emprunts. Dès lors, pareilles mesures précipiteraient le monde dans une crise économique de grande ampleur.

En revanche, se résigner aux flux ininterrompus d'argent favorisant le crédit, profite avant tout aux plus fortunés. Ces derniers parviennent à s'enrichir davantage en spéculant, en dirigeant leurs énormes gains vers la Bourse, l'immobilier, les crypto-monnaies. Mais, continuer de la sorte appauvrit classes moyennes et petit peuple. Deviennent plus chers en effet, les carburants, les produits, les loyers, les aliments, les vêtements, les loisirs, ... Ce qui réduit, là encore, la consommation, et mène au marasme général.

L'effondrement du système se profile ; et cela, que l'on choisisse l'une ou l'autre option envisagée ici. Nous vivons donc un moment inédit : celui où le capitalisme mondialisé s'est fourré de lui-même dans une impasse économique.

                                                   L'impasse environnementale

         A l'époque de la première guerre mondiale, la quantité de pétrole annuellement utilisée sur la planète, se chiffrait à 6 millions de tonnes. Aujourd'hui, la consommation totale d'hydrocarbures s'élève, en une année, à 5 milliards de tonnes. Et ce chiffre ne cesse d'enfler.

Toujours en 1914, le nombre des voitures et camions était de 2 millions. De nos jours, le compte de ces véhicules encombrant nos routes dépasse les 2 milliards. Et, tous les ans, 90 millions d'automobiles supplémentaires viennent gonfler cet inventaire déjà colossal.

Le transport aérien, lui aussi, s'est considérablement développé, brûlant à foison du kérosène. Les avions en effet, effectuent 200.000 vols quotidiens. Quant aux navires, ils ne sont pas en reste. Depuis la seconde guerre mondiale en effet, les bateaux sillonnant les mers se révèlent 5 fois plus nombreux. Ceci parce que les échanges commerciaux par voie maritime ont vu leur fréquence multipliée par 10 ; et ce, grâce au précieux liquide.

Toutefois, cette effervescence pourrait un jour se terminer ...

            Si cette manne pétrolière venait à disparaître, cela n'éliminerait pas seulement la plupart des transports. Pareille éventualité mettrait également à l'arrêt presque toutes les usines. De surcroît, la production d'électricité viendrait à diminuer. Et beaucoup de maisons, d'écoles, d'hôpitaux, de magasins, de bureaux, ne seraient plus chauffés.

Parce que manquant de mazout, les agriculteurs auraient alors à produire notre nourriture sans l'aide des tracteurs et moissonneuses-batteuses. En outre, nombre d'engrais, pesticides, herbicides ne leur seraient plus livrés, car issus de la pétrochimie. L'existence de cette dernière en effet, prendrait fin. Ce qui bannirait aussi des milliers d'indispensables produits dérivés : goudron, asphalte, solvants, nylon, polyester, détergents, lubrifiants, colorants, ... Cependant, la plus grosse perte serait à coup sûr celle du plastique, dont les multiples usages nécessitent d'en produire un million de tonnes chaque jour.

Or, les ressources en hydrocarbures s'épuisent à grande vitesse, tandis que les nouveaux gisements déçoivent énormément. De toute évidence, ces combustibles fossiles récemment découverts se révèlent de piètre qualité, d'un accès difficile, de volume faible, de rentabilité médiocre.

Le cauchemar nous plongeant dans une crise énergétique d'envergure, se matérialise donc peu à peu

            Un discours optimiste cherche à nous rassurer. On devrait ainsi, remplacer rapidement le pétrole par la « fée électricité ». Accroître considérablement les capacités de cette énergie renouvelable permettrait, notamment, de faire rouler voitures, bus, camions. En outre, nos agriculteurs pourraient espérer des machines agricoles fonctionnant sur le même principe.

L'euphorie s'enlise toutefois, face au problème que soulèvent les flottes aériennes et maritimes. Le « tout électrique » en effet, immobiliserait avions et navires, pour toujours. Or, ces deux types de transport actionnent 90% des flux mondiaux de marchandises.

Ensuite, le soulagement s'évapore complètement lorsqu'on examine de près ces véhicules du futur. Car une voiture électrique nécessite quatre fois plus de minerais que son équivalent thermique. Et, tout comme le pétrole, pareilles matières premières s'acheminent inexorablement vers d' irrémédiables pénuries.

            Ces automobiles de nouvelle génération, se déplacent grâce à leurs imposantes batteries. Et la fabrication de celles-ci nécessite du cuivre, par dizaines de kilos. A cela, s'ajoutent de grandes quantités de graphite, lithium, nickel, terres rares. Mais, ces métaux essentiels proviennent de réserves qui diminuent au fil du temps. A tel point que certains composants disparaîtront avant une décennie. Par conséquent, prétendre propulser électriquement 2 milliards et quelques de véhicules divers, se perçoit comme affirmation grotesque.

Située en amont, la production d'électricité suscite les mêmes déclarations ridicules. Car une réelle autonomie énergétique de l'Europe, exigerait l'alignement de 20 à 30 fois plus d'éoliennes sur son territoire. Quant aux panneaux photovoltaïques, l'issue préconisée serait de les fabriquer par centaines de millions, de les poser en séries sur chaque bâtiment et maison. De plus, ces produits d'une technologie escomptant vent ou soleil, ont une viabilité éphémère, une durée limitée à trente ans. Dès lors, comme leur usinage réclame des métaux en grand nombre, c'est donc sans interruption qu'il faudra sortir de terre des masses d'aluminium, de cobalt, d'indium, de silicium, de zinc, d'argent, de gallium... Jusqu'à ce jour prochain où l'extrême rareté minérale sera la norme.

Restent encore l'hydroélectricité et l'option nucléaire. Mais, l'une s'avère anecdotique, tandis que l'autre dépend de l'uranium. Lequel, lui aussi, deviendra de plus en plus introuvable.

N'oublions pas le gaz naturel, en cubage limité. Ni celui qui s'obtient à partir du schiste ; solution  bien mauvaise, parce qu'empoisonnant les nappes phréatiques. Mais le plus dangereux combustible est encore le charbon, lequel génère une pollution atmosphérique assurément mortelle.

            Certes, on pourrait, s'effrayer de ce cul-de-sac énergétique vers lequel l'humanité s'avance. Cependant, semblable mur dressé devant nous constitue un puissant obstacle à notre consommation débridée. Or, pareille démesure dans les appétits, nous engage progressivement dans une autre impasse, bien plus menaçante celle-là : le complet anéantissement de la nature.

De fait, si tous parvenaient à savourer une existence aux besoins modestes, la planète s'en porterait beaucoup mieux. De sorte que s'éloignerait la fin des zones polaires, des glaciers, de la neige, laquelle provoque une fatale montée des mers. Que s'enrayerait aussi la fin de l'eau potable, celle-ci se raréfiant à cause du réchauffement climatique. Que s'estomperait la fin des poissons, due à la surpêche et à cette acidification des océans qui tue le plancton. Que se contiendrait la fin des insectes, exterminés par les produits chimiques partout répandus. Que s'arrêterait la fin du permafrost, dont le dégel produit ce méthane considérable accentuant l'effet de serre. Que s’interromprait la fin des forêts, lesquelles brûlent, dépérissent, se défrichent, avec pour résultat une bien moindre absorption du gaz carbonique néfaste. Que se conjurerait la fin des terres arables, occasionnée par les intenses sécheresses actuelles. Que s'endiguerait la fin de la biodiversité, afin d'éviter ces espèces invasives ravageant les cultures et propageant des maladies infectieuses...

En résumé, l'arrêt de toute croissance économique éviterait au monde la fin de l'espèce humaine.

                                                        Le grand revirement                   

            Après la seconde guerre mondiale, puis après la parenthèse des « Trente glorieuses », les populations subirent de plein fouet l'idéologie ultralibérale. Aussitôt cette outrance mise en place, le capitalisme rejeta toute régulation. Car avancer à grande allure vers une opulence réservée à quelques uns, ne pouvait se réaliser qu'en éliminant les modérations en vigueur. Par conséquent, le marché s'appliquerait à démanteler cette puissante source d'entraves : l'intérêt général enclavé par  les lois contraignantes de l'État-nation.

C'est en s'émancipant de pareille tutelle que les actionnaires s'enrichirent, délocalisèrent nombre d'activités florissantes, les installèrent parfois à des milliers de kilomètres. De sorte que cette rapacité favorisa, dans les pays ainsi dépossédés, un chômage massif assorti de services publics au rabais. Et le saccage du milieu naturel vint alourdir de beaucoup ce bilan déjà fort négatif.

On ressent dès lors une authentique consternation, devant les multiples volte-faces s'étalant aujourd'hui dans le livre de Schwab et Malleret.

            Connaissant les opinions résolument néolibérales de ces deux auteurs, plus d'un lecteur averti découvrira donc avec stupeur ce genre d'affirmation : « Il est extrêmement important que votre pays dispose d'un bon service de santé, de bureaucrates compétents et de finances saines. » (page 100). Mais aussi : « ...l'assurance sociale est efficace et se décharger d'un nombre toujours plus grand de responsabilités (comme la santé et l'éducation) sur les individus et les marchés n'est peut-être pas dans l'intérêt de la société » (page 102). Ou bien encore : « Ils (les gouvernements) devraient également veiller à ce que les partenariats avec les entreprises soient motivés par l'intérêt public et non par le profit. » (page 103). Et, de plus en plus étonnant :  « ... des allocations de chômage prolongées, des congés de maladie et de nombreuses autres mesures sociales devront être mises en oeuvre... Dans de nombreux pays, un engagement syndical renouvelé facilitera ce processus. La valeur pour les actionnaires deviendra une considération secondaire... » (page 105). Vient alors, émanant de quelqu'un d'autre, cette phrase reprise avec candeur : « Pendant trop longtemps, le pouvoir de la bourse sur notre économie s'est accru au détriment des autres parties prenantes, en particulier les travailleurs. » (page 213).

En terminant une telle lecture, on se demande si les hyper-riches distribueront bientôt leur fortune aux plus pauvres ; ou depuis quand la maison Klaus s'est ralliée aux théories marxistes ?!?

            Tout aussi déconcertante, émerge cette soudaine prise de conscience quant au manque de respect pour Mère nature: « La dépendance excessive des décideurs politiques à l'égard du PIB comme indicateur de la prospérité économique, a conduit à l'épuisement actuel des ressources naturelles et sociales. » (page 64). Mais, ceci sent le boniment à plein nez. Car on sous-entend ici que ces impasses écologiques, énergétiques, économiques contemporaines, proviennent de décisions politiques aberrantes, et non de l'avidité mercantile des grands possédants.   

Plus inquiétant, apparaît ce parti pris : « Tandis que pour une pandémie, une majorité de citoyens auront tendance à s'entendre sur la nécessité d'imposer des mesures coercitives, ils refuseront des politiques contraignantes dans le cas de risques environnementaux dont les preuves peuvent être contestées. » (page 154). Si l'on suit un tel préjugé, il conviendrait alors de contraindre les populations à s'engager dans la « bonne direction ». Parce que celles-ci se révéleraient incapables de comprendre où se situe leur intérêt. Dès lors, le sauvetage de notre planète deviendrait l'excuse imparable pour abolir nos libertés.

Une autre solution au problème climatique s'annonce également radicale : « Si, à l'ère post-pandémique, nous décidons de reprendre notre vie comme avant (en conduisant les mêmes voitures, en prenant l'avion vers les mêmes destinations, en mangeant les mêmes choses, en chauffant notre maison de la même manière, etc. ), la crise de COVID-19 n'aura servi à rien en termes de politiques climatiques. » (page 160). Là encore, la minorité des ultra-riches semble vouloir nous forcer la main, nous culpabiliser afin que cesse la consommation éperdue.

La peur de possibles catastrophes, représente un autre artifice pour accepter l'austérité prochaine : « ... le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes qui lui sont associés, continueront de représenter un danger dans un avenir proche et bien après. Toute mesure destinée à relancer l'activité économique aura un effet immédiat sur notre mode de vie, mais également un impact sur les émissions de carbone qui, à leur tour, auront des répercussions sur l'environnement dans le monde entier, qui se mesureront sur plusieurs générations. » (pager 170). Et, à l'effroi qui ferait renoncer à cette prospérité multipliant les biens matériels, s'ajoute, une fois de plus, un impératif moral. Il conviendrait en effet de penser aux générations futures, en leur assurant un avenir, en bridant aujourd'hui nos jouissances égoïstes.

            Le 17 janvier 2017, le président chinois ouvrait solennellement la cession annuelle du Forum Économique Mondial. Et son discours inaugural fut interrompu, à plusieurs reprises, par d'innombrables applaudissements frénétiques. Ces derniers provenaient d'une salle comble, dans laquelle se pressaient des centaines de super-nantis subjugués, littéralement suspendus aux paroles de ce chef d'un parti communiste.

La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, se disait, elle aussi,  « enchantée » par les propos tenu par Xi Jinping. Car celui-ci vantait les bienfaits de la mondialisation, tout en condamnant sévèrement ce protectionnisme appliqué par des pays s'abandonnant à leur seul intérêt national.

En réalité, pareil enthousiasme s'accordait tout-à-fait avec les thèses que l'on retrouverait plus tard dans « La grande réinitialisation », cet écrit au sein duquel on peut lire : « ... les décisions importantes doivent être prises à un niveau supranational, ce qui d'une certaine manière affaiblit la souveraineté de l’État-nation. » (page 120). Et de préciser : « Le résultat le plus probable de continuum « mondialisation – absence de mondialisation » réside dans une solution intermédiaire : la régionalisation. Le succès de l'Union européenne en tant que libre-échange ou le nouveau partenariat global en Asie... sont des exemples parlants de la façon dont la régionalisation pourrait bien devenir une nouvelle version édulcorée de la mondialisation. » (page 123).

La puissance publique est donc à présent souhaitée, mais pour autant qu'elle soit pilotée par une région et non plus par un État souverain. Or, en rameutant neuf autres pays pour former l'ANASE, la Chine s'accorde ainsi à la trajectoire de l'Union européenne : affûter les coercitions à venir, dominer le plus de gens possible, avancer vers la gouvernance mondiale.

Une telle complicité entre Davos et Pékin allait se ponctuer le 18 décembre 2018, par la remise d'une médaille. De fait, reçu chaleureusement dans la capitale chinoise, Klaus Schwab se verrait décoré par le dirigeant suprême. Lequel lui octroyait cette distinction honorifique « en récompense d'une amitié favorisant le progrès de la Chine ».

On croit rêver !

                                                           The Gutt reset ?    

            Après nous avoir créé des besoins infinis - durant trois quarts de siècle et en employant un matraquage publicitaire incessant - le haut pouvoir marchand décrète à présent qu'une ère nouvelle va commencer. Aussi, le livre précité en précise-t-il les contours : « Projeter un message sur soi-même par le biais d'un achat et faire étalage de choses coûteuses pourrait tout simplement appartenir au passé... » (page 270). Ceci est par ailleurs souligné : « ...l'étalage ostentatoire de richesses ne sera plus supportable. » (page 271).

Cette époque qui s'annonce se révélerait donc nettement plus frugale. Mais abandonner ainsi toute prétention à l'aisance, devrait nous rendre plus heureux : « Comme ne cessent de le rappeler les psychologues et les économistes du comportement, la surconsommation n'est pas synonyme de bonheur... une consommation ostentatoire ou excessive, quelle qu'elle soit, n'est bonne ni pour nous ni pour la planète. » (pages 271 et 272).

Reste à savoir maintenant si les populations concernées par cet austère programme accepteront,  sans résistance, cette « sagesse » décrétée par quelques uns !? Le problème en tous cas semble connu : « L'un des dangers les plus profonds de l'ère post-pandémique est l'agitation sociale. Dans certains cas extrêmes, elle pourrait conduire à la désintégration de la société et à l'effondrement politique. » (pages 93 et 94). Toutefois, la solution préconisée paraît des plus simples : « A première vue, les pays pauvres sans filets de sécurité et les pays riches avec des filets de sécurité sociale insuffisants, sont les plus menacés car ils n'ont pas ou peu de mesures politiques telles que les allocations de chômage pour amortir le choc de la perte de revenus. » (page 98).

On veut donc nous appauvrir, « pour notre bien ». Cependant, tout sera fait pour nous éviter la misère. Dès lors, cette « générosité » de l'oligarchie capitaliste soulève une question majeure. Parviendra-t-elle en effet, à justifier suffisamment l'inéluctable décroissance pour éviter la révolte ?

            Vers la fin de l'année 1944, le gouvernement belge en exil, quittait l'Angleterre pour regagner le territoire national. Dès leur retour en Belgique, ces dirigeants politiques constatèrent combien désastreuse était la débâcle économique écrasant le pays. Certes, les dévastations infligées par la guerre mettraient un certain temps à s'effacer. Mais, dans l'immédiat, croissait un niveau d'inflation monumental qui plombait tout rebond vers la prospérité. Et ceci, parce que la masse monétaire avait plus que triplé en quatre ans ! Il fallait donc utiliser un puissant remède pour guérir de cette situation catastrophique. Alors, les autorités déclenchèrent l'« Opération Gutt ».  

Le principe était simple : du jour au lendemain, tous les billets de banque, déposés sur compte courant ou livret d'épargne, planqués dans un coffre ou sous un matelas, se voyaient déclarés « sans valeur aucune » !

Une telle mesure brutale, ne souleva guère d'opposition. Dans son ensemble, la population ne condamna pas le processus, adopta sans tarder cette nouvelle monnaie désormais en circulation. Car l'heureuse réussite de semblable entreprise résultait d'un contexte particulier. La stratégie mise en place en effet, s'appuyait sur les bouleversements d'une époque particulièrement ébranlée.

            Ces soudaines dispositions financières détruisaient avant tout l'argent des rares épargnants. Or, ceux-ci éveillaient maints soupçons. De fait, les profiteurs de guerre, les adeptes du marché noir, les combinards acoquinés avec l'ennemi, avaient clandestinement amassé de honteuses économies. Et un sentiment patriotique exacerbé, justifiait l'élimination de ces fortunes inciviques.

Si l'argent détenu secrètement ne valait plus rien, celui placé dans les banques connaîtrait un sort différent. Les anciennes liquidités, à présent valorisées autrement, permettraient en effet d'alimenter le trésor public. Car une part importante de ce pécule prendrait la forme d'un emprunt obligatoire. Ce qui transformerait les détenteurs de ces fonds, en créanciers obligés de l’État belge. Ceux-là se verraient même rétribués, mais au moyen d'intérêts minimes. Quant aux sommes réellement confisquées, elles seraient remboursées aux ayant-droits ; cela cependant prendrait des années. Un tel programme néanmoins, ne coûterait rien à la collectivité. Parce que des impôts jusqu'alors inconnus, compenseraient largement les indemnisations.

            A cette époque, la classe moyenne totalisait beaucoup moins de monde qu'aujourd'hui. De plus, ce deuxième conflit mondial avait accru la pauvreté du petit peuple. Dès lors, quand les autorités distribuèrent à chaque ménage une somme correspondant à plusieurs mois de salaire moyen, ceci fut ressenti comme authentique cadeau providentiel. Avec pareille distribution gratuite, le gouvernement intronisait la nouvelle monnaie en incorporant à celle-ci un sentiment de gratitude. Comble de bonheur, une refonte de la sécurité sociale promettait d'autres bienfaits à la population. En outre, une masse monétaire revenue à son niveau d'antan éliminait l'inflation. Mais, surtout, la perspective d'un avenir meilleur éteignait toute opposition à ce remaniement profond.

            L'instigateur de cette déflagration financière, dont le souffle éteignit la flambée des prix, revigora l'économie, vivifia la paix sociale, se nommait Camille Gutt. Or, grâce à l'indéniable succès de sa manœuvre osée, il devint, en 1946, le premier directeur du Fond Monétaire International. Aussi, l'actuelle patronne de cet organisme ne peut-elle ignorer l'exploit de son illustre prédécesseur. C'est pourquoi, lorsque cette dame annonce le great reset, on se dit aussitôt que l'Opération Gutt pourrait bien lui servir de modèle...

            « ... nous sommes en guerre... », soit une affirmation se trouvant dans le livre de Schwab et Malleret (page 14). Sans grande surprise, celle-ci va devenir véritable slogan, car assénée par de nombreux politiciens. Beaucoup perçoivent donc maintenant la pandémie, comme brutale invasion d'un ennemi qui s'efforce de tuer les imprudents !

A cela, se joignent d'autres « fatalités » : récession, chômage, appauvrissement général. Or, de telles vicissitudes, traumatisantes, alimentent quantités d'angoisses, passivités, soumissions. Et ce mal-être grandissant, va fonder l'opportunité parfaite pour mettre en place une monnaie « rénovée ». Vraisemblablement, cette dernière sera cryptée, numérisée, informatisée. De sorte qu'elle supprimerait les paiements en espèces, marquerait la fin de la « planche à billets », permettrait d'enrayer l'inflation.

Valider ainsi toute transaction par l'unique biais d'une carte bancaire, protégerait de surcroît les citoyens, en éradiquant nombre d'agissements criminels. Parce que « l'argent sale », circulant secrètement, entretient le terrorisme, la corruption, les trafics... On feint d'ignorer toutefois, que cette innovation constitue un contrôle de plus, nous rapprochera davantage du « modèle chinois ».

            Lorsque ma part de gâteau grandit sans arrêt, ce qui se trouve dans l'assiette de mon voisin m'importe peu. Mais si je dois un jour me contenter de rares miettes, la surabondance de pâtisseries s'empilant à proximité devient difficilement acceptable. Et je vais, tôt ou tard, réclamer un partage.

L'engeance rassemblée à Davos, ne veut évidemment pas de pareil dénouement. Aussi, comme parade, elle accuse d'abord un méchant virus (et de vilains Russes ?) afin de légitimer le présent marasme économique; lequel résulte pourtant de son action rapace.

Ces grands avides nous font ensuite miroiter un futur de rêve. Le transhumanisme en effet, pour notre plus grand bonheur va nous transformer en « surhomme ». D'autant que cette techno-science appliquée aux humains, ne nécessite guère d'énergie ni de matières premières. Certes, nos conditions d'existence se révéleront nettement plus modestes à l'avenir, mais nous aurions en revanche l'énorme chance d'échapper à la maladie, la vieillesse, la mort.

Avec un culot monstre, la maison Klaus nous l'affirme : le paradis terrestre est pour bientôt !

                                                                                               Gablou