Centre d'Étude du Futur

« La génération précédente s'illusionnait déjà en associant sans justification le progrès mécanique au progrès moral. Mais nos contemporains, qui ont pourtant de bonnes raisons de rejeter la présomption victorienne selon laquelle la maîtrise de la machine améliorerait toute création humaine, ne s'acharnent pas moins, avec une ferveur maniaque, à développer sans fin la science et les techniques.

Doté de cette nouvelle « mégatechnique », la minorité dominante mettra en place une structure supra-planétaire uniforme, englobant tout, conçue pour fonctionner de manière automatique. L'homme n'agira plus de façon autonome, il deviendra un animal passif, sans but, conditionné par la machine.

Le monde des affaires était singulièrement imprégné par le principe de gratification. Mais ce qui était propre à l'économie capitaliste, c'est que la récompense immédiate se présentait sous la forme abstraite de l'argent, et que son partage avec le travailleur et le consommateur était repoussé jusqu'à ce qu'actionnaires et dirigeants obtiennent entière satisfaction – or, il n'y avait en principe aucune limite à leur exigence d'un profit toujours plus élevé. Dans la téléologie de l'entreprise commerciale, le profit constituait le but ultime de l'existence.

Il est absurde de penser qu'aucune fonction humaine ne comporte de limites car toute vie est étroitement bornée par la température, par la présence d'air, d'eau et de nourriture ; et l'idée que l'argent seul, ou le pouvoir de s'approprier les services d'autres hommes, devraient échapper à ces limites spécifiques est une aberration de l'esprit.

On emploie encore fréquemment le mot civilisation de façon admirative, pour en faire l'éloge, et par opposition à ce que l'on a coutume d'appeler sauvagerie ou barbarie. Cette vision idéale, qui au XVIIème siècle semblait aller de soi, hormis chez quelques dissidents comme Rousseau, prête aujourd'hui à sourire ... Ses principales caractéristiques, constantes dans des proportions variables à travers l'histoire, sont la centralisation du pouvoir politique, la séparation de la société en classes, la division du travail pendant toute la vie, la mécanisation de la production, l'accroissement de la puissance militaire, l'exploitation économique des faibles, l'instauration universelle de l'esclavage et du travail forcé à des fins industrielles ou militaires.

L'autre nom de la division du travail, lorsqu'il conduit l'individu dans une tâche unique pendant toute sa vie, c'est la mutilation ... Que ce système technique « civilisé » soit considéré comme une réussite absolue, voilà qui reste l'une des plus grandes énigmes de l'histoire. »

            Ces  quelques lignes proviennent d'un livre qui sort indubitablement de l'ordinaire. L'auteur, un Américain nommé Lewis Mumford, a connu une certaine notoriété grâce à son premier succès littéraire : « Technique et civilisation ». Lequel paraîtra durant l'année 1934.Les extraits figurant ici sont issus d'une publication plus récente (Le mythe de la machine). Mais si plusieurs décennies séparent l'avènement de tels ouvrages, tous deux contiennent les mêmes questionnements essentiels. Et ceux-ci seront plus approfondis encore par Fabian Scheidler.

Il convient en effet de s'interroger sur la raison pour laquelle on réduit l'être humain à la seule fabrication d'outils de plus en plus élaborés. Car ceci est à coup sûr lui faire injure. Et s'en rendre compte, se réalise en comparant l'extrême ingéniosité de l'un ou l'autre nid d'oiseau avec ce rudimentaire taillage préhistorique des silex. D'autre part, ce progrès technologique tant vanté semble dissimuler des pratiques singulièrement primitives. De fait, cette constante progression technologique, cette machine sociétale perpétuellement perfectionnée, ne serait qu'un mécanisme conçu pour activer une infinie accumulation de pouvoir et d'argent.

 

Petits rouages pour grande machine

            Dès l'origine, l'homme se démarquait du monde animal parce que non conditionné par la seule recherche de nourriture, ou régi selon l'impérieuse propagation de l'espèce. De fait, corps et cerveaux des humains les prédisposaient à des activités multiples, éminemment variées. Dès lors, danses, chants, rituels en étaient autant de manifestations concrètes. Grâce au langage, se développaient également les interprétations de rêves, se déployaient de possibles explications d'événements divers. Mais aussi, maintes représentations du passé, de l'avenir s'associaient aux « pourquoi » de la vie, de la mort.

Survinrent alors l'agriculture, l'élevage, la sédentarisation. De sorte que s'orienterait tout autrement cet éveil de l'esprit, jusqu'ici stimulé par la profusion d'incitants culturels. Car, après des millénaires librement vécus au sein de la nature, il fallait maintenant abandonner une existence de chasseurs-cueilleurs pour se consacrer presque exclusivement à la production alimentaire.

            Désormais, le travail de la terre et les soins prodigués aux animaux domestiques permettait de subsister. Aussi, l'imagination se mettait au service de la productivité. Se perfectionneraient ainsi, les outils, méthodes, planifications. Et l'activité rudimentaire du paysan peu à peu se convertirait en métier spécialisé.

L'autre spécialisation, proviendrait de l'usage des armes. Car, en ces temps reculés, l'accès à la nourriture se devait d'être défendu. Circulaient en effet, des pillards ravageant les campagnes. C'est pourquoi quelques uns, répugnant aux durs travaux des champs, se posèrent en protecteurs d'une population qui peinait pour nourrir chacun.

            Généralement, pareils défenseurs professionnels se voyaient dirigés par un homme à l'orgueil sans limites. Mû par cette pulsion maladivement exacerbée, celui-là n'hésitait pas à risquer sa vie. Ceci pour susciter l'admiration de ses recrues. De sorte que cette aura d'héroïsme justifiait son droit à commander.

Un tel potentat sévissait au seul niveau local. Certes, une ambition démesurée pouvait peut-être l'inciter à sortir de son fief, afin d'accaparer de nouveaux territoires. Mais vaincre rapidement un ennemi qui se défend, puis occuper valablement le terrain conquis, réclamait une armée performante. Or, jamais les paysans sous sa coupe ne délaisseraient familles, fermes, récoltes pour se battre avec vaillance au profit d'une quelconque expédition guerrière. Et ceux-là pensaient ne rien gagner non plus, à se lancer dans des batailles occasionnant morts et blessures.

Arriva pourtant le jour qui allait changer cette situation séculaire. Semblable bouleversement se ferait par le biais de la monnaie.

            Avec l'arrivée de l'argent, il s'agissait à présent de vendre, ou de se vendre. Pour cela, on essayait d'abord de monnayer le produit de son labeur au marché le plus proche. Mais si ces ressources agricoles s'avéraient insuffisantes, il n'y avait pas d'autre choix que la mise sous tutelle : se mettre entièrement au service du seigneur en place.

Ce processus aboutissant à l'aliénation sociétale des humbles, s'opérait au moyen de taxes payables en numéraire. Lorsque celles-ci tardaient à se voir acquittées, planait la menace d'une dette grandissante. Il suffisait alors de  mauvaises récoltes successives, pour perdre ses terres et sa liberté.

Pour manger à leur faim, beaucoup parmi ces nouveaux pauvres acceptaient de servir comme soldats. Dès lors, le moindre chef de bande se voyait doté d'une armée permanente, car rétribuée en espèces. Et, à partir de là, nombre d'autocrates auto-proclamés se voulaient roi, s'imaginaient despote régnant sur un vaste domaine. C'est ainsi que la guerre deviendrait ce fléau ponctuant le cours de l'histoire des hommes.

            Gagner un conflit, c'était faire des prisonniers, aussitôt transformés en esclaves. Ces derniers s'épuisaient donc en accomplissant maintes tâches particulièrement pénibles. Et, en plus de ces sinistres corvées, trônait le travail dans la mine.

C'est en extrayant le minerai de la terre que l'on parvenait à produire des pièces d'or, d'argent, de bronze. Et plus celles-ci s'avéraient nombreuses, plus s'étoffaient les rangs des combattants rémunérés. Avec pour résultat, de nouvelles régions ravagées, de nouveaux captifs, et par conséquent une production minière accrue...

            Des soudards uniquement motivés par l'encaissement d'une solde régulière, représentaient un danger pour le pouvoir en place. A tout moment, une telle troupe pouvait fuir le combat, se retourner contre son employeur, trahir en octroyant ses services au plus offrant.

La solution passait par la transformation de brutes épaisses en dociles automates. Et ce conditionnement nécessitait un dressage. De sorte que chaque troupier devait réagir au quart de tour, à toute injonction lancée par ses chefs. Aussi, pour assurer semblable soumission machinale, les exercices gestuels se répétaient au fil des mois, jour après jour, durant des heures. De surcroît, un système de récompense-punition accélérait cette glissade vers l'obéissance aveugle. Alors, pressurées sous pareille autorité, les personnalités se diluaient  dans la conformité de l'ensemble.

Restait à renforcer cette standardisation, grâce au mensonge nationaliste. S'élaborait alors une identité factice, rassemblant des populations originellement disparates. Dans ce but, on créait une improbable, mais glorieuse, « Mère Patrie ». D'où ces drapeaux, défilés, chants martiaux, conçus pour intensifier le fantasme menant à la vanité communautaire, au narcissisme cocardier. 

            Ce mécanisme militaire fournissait le modèle d'après lequel, peu à peu, s’élevait une imposante machine sociétale : l’État-nation. Véritable construction fantasmée, celle-ci osait se prétendre famille bien que rassemblant des multitudes d'inconnus.

Pareille fausse communauté, se renforçait de siècle en siècle grâce à ce corset moral, à la fois hiérarchique, disciplinaire, patriotique, qui structurait déjà ses régiments. Dès lors, une telle armature coercitive régentait aussi ses écoles, usines, forces de l'ordre, bureaucraties, institutions.

Semblable amalgame se consolidait également par le renfort d'une commune langue imposée. Pour ce faire, les dialectes d'autrefois, se dénombrant par centaines, devaient disparaître au profit de nouveaux mots. En réalité, ceux-ci véhiculaient au mieux la pensée dominante.

Finalement, tous ces artifices instrumentaient les individus, dénaturaient ceux-ci car les changeant en véritables petits rouages.

 

Une grande machine en continuelle extension

            Parce que vivant au sein d'une nature généreusement nourricière, les peuplades dites « primitives » considéraient un tel écrin comme éminemment sacré. Ces chasseurs-cueilleurs en étaient convaincus : se dissimilant aux yeux des hommes, l'éternel principe divin animait les forêts, les rivières, les animaux. Soit une harmonie qui s'appuyait sur le mystère. Il convenait donc de respecter ce grand secret, de consentir à ce qui devait rester caché.

A cet animisme s'ajoutait le culte des ancêtres. Ces derniers en effet, méritaient honneurs et gratitude. Car ils avaient construit, puis légué, l'actuelle communauté solidaire assurant le bien-être de chacun. Dès lors, un pieux respect commandait de perpétuer l’œuvre d'autrefois, en ne changeant pas la manière de vivre. Seule pareille condition impérative, permettrait que l'esprit de ces aïeux bienfaisants protège aujourd'hui chaque membre de la tribu.

            Les religions païennes refuseraient, elles aussi, d'étudier de trop près l'environnement naturel. De fait, toute curiosité osant s'immiscer ainsi dans le royaume des dieux, relevait d'une coupable impiété. D'autre part, l'alternance du jour et de la nuit, le rythme des saisons, les cycles renouvelant naissances aussi bien que décès, semblaient indiquer un perpétuel retour du même. Aussi, des innovations saluées aujourd'hui, se verraient fatalement oubliées dès demain.

En ces temps très anciens, tous les peuples de la Terre considéraient leurs divers modes d'existence comme institués pour toujours, pratiquaient de la sorte un immobilisme serein.

C'est alors qu'apparut le christianisme...

            La perception chrétienne de l'existence allait provoquer une profonde rupture, un bouleversement qui façonnerait le futur de l'humanité.

Il y avait désormais un seul Dieu souverain. Lequel ne régnait pas ici-bas mais trônait dans le Ciel. Par conséquent, cette présence dans un « ailleurs » ne gênait en rien toute intime exploration de cet environnement autrefois divinisé.

Pour ce culte nouveau, seul l'être humain possédait une âme. Et ceci dévaloriserait quelque peu le reste de la Création, accordait de ce fait un avantage décisif aux hommes, permettait d'instaurer ceux-ci comme maîtres abusifs du milieu naturel.

Plus déterminant encore, apparaissait cet espoir entretenu par l'annonce d'un retour de Jésus. A la fin des temps en effet, Il reviendrait pour installer le paradis ici-bas, jugerait les vivants et les morts. Aussi, pour accueillir ce grand moment, chacun avait à se parfaire, grandir en sainteté, diriger sa vie dans une unique direction : vers le « mieux ».

            Il convient ici d'opérer une distinction entre l'enseignement du Christ et l'organisme dénommé l’Église. Cela parce que ce dernier a longtemps recherché l'exercice d'une mainmise contraignant corps et esprits. Cette puissance s'est donc opposée, durant des siècles, à ce qui pouvait menacer son hégémonie. Dès lors, nombre de ses anathèmes ciblaient la petite communauté scientifique naissante. Mais, au fil du temps, les conflits entre pouvoir spirituel et instances temporelles finissaient par s'atténuer. Or, là encore, ce changement de mentalité subissait l'influence  de l'institution militaire.

Les armées se modifièrent lorsque vint ce jour, où l'on ne gagnait plus la guerre en alignant le plus grand nombre de soldats. Et où l'heureuse issue d'une bataille ne dépendait pas davantage de la motivation guerrière des troupes. De fait, ce qui donnait à présent la victoire, c'était la détention d'une réelle supériorité technique, d'un armement plus performant que celui de l'ennemi. Aussi, l'alliance ultérieure du sabre avec le goupillon, aurait pour conséquence indirecte une tolérance accrue du clergé envers la science et ses dérivés technologiques.

            Inventer de nouvelles armes, puis les produire en grande série pour équiper les troupes, se révélait extrêmement coûteux. En sorte que les potentats à la tête de ces nouveaux États-nations, se retrouvaient fréquemment avec des coffres vides. Ce problème semblait d'autant plus insoluble que la majeure partie des populations gouvernées, vivait dans l'extrême pauvreté. Celles-ci peinaient de ce fait à payer les diverses taxes déjà mises en place. Aussi, la solution viendrait d'une classe sociale jusque là méprisée par la noblesse d'épée : les marchands.

Favoriser le commerce deviendrait un impératif. Tout simplement parce que la prospérité économique autorisant le financement des inventions techniques à usage belliciste, octroyait de la sorte un surcroît de puissance. Mais, l'argent ne provenait pas seulement des impôts perçus sur la richesse produite. Les fonds affluaient également sous forme de prêts consentis à qui se trouvait au sommet de la pyramide sociale.

            La stabilité de la grande machine reposait à présent sur quatre solides piliers : religiosité, militarisation, technologie, profit. Or, pareille configuration, jusqu'ici cantonnée au seul continent européen, devait se prolonger au-delà des mers.

Depuis toujours le christianisme avait pour apostolat de propager la parole de Jésus, d'apporter le message des Évangiles à tous les peuples de la Terre. Quant aux militaires, ils rêvaient d'une gloire facile, de médailles obtenues en combattant des indigènes dotés d'armes rudimentaires. D'autre part, accroître l'innovation dans le domaine des techniques, nécessitait ressources et matières premières abondantes, que l'on trouverait à coup sûr dans les régions encore inexplorées. Restait le commerce, lequel souhaitait de nouveaux débouchés, l'importation de produits exotiques, l'exploitation d'une main-d’œuvre présumée docile. 

Propulsé par une telle dynamique, l'homme blanc s'élancerait alors à la conquête du monde. Et pareil colonisateur bouleverserait ainsi de vastes territoires, en toute bonne conscience, car se persuadant d'accomplir une mission : celle d'offrir aux « sauvages » la Vérité, la Raison, le Progrès.

 

Quand la machine devient idole

            A présent mondialisée, la grande machine se transformait, modifiait ses rouages afin d'accomplir un dessein d'envergure. C'est ainsi que le progrès moral, autrefois recommandé par Jésus, se changeait en avancée profane s'élançant vers de radieux lendemains. Grâce à la technologie, l'avenir s'envisageait désormais comme réel avènement d'un paradis terrestre. De sorte que l'idée d'une innovation technique se développant à l'infini, pour le bonheur de tous, imprégnait les esprits. Ce qui précipitait ces derniers dans la superstition, tout en les ployant sous le joug d'une indéniable fatalité. De fait, « On n'arrête pas le Progrès » deviendrait incantation ressassée par maintes générations crédules. Mais en plus, ceci versait les gens dans la résignation.

S'adapter au monde de la technique, revenait à s'abandonner, à ne pas se poser de questions majeures, à consentir. Maintenant, il ne s'agissait plus de diriger sa vie en s'appuyant sur ces « pourquoi » qui avaient orienté les hommes depuis toujours. Dès lors, religions, philosophies, idéaux s'effaçaient progressivement des consciences.

Seul l'usuel « comment » du technicien semblait avoir réponse à tout. Et ce questionnement, ô combien fragmentaire, était celui voulu par une petite minorité. Celle-ci usait donc de solutions scientistes pour exploiter, contrôler, diriger les foules.

            De nos jours, la sacralisation de l'outil technologique remplace ces grands récits qui octroient sens à l'existence. Et les prêtres du nouveau culte - experts, scientifiques, ingénieurs, universitaires ... - se voient récompensés en conséquence. Pour autant bien sûr, qu'ils consentent à cette liturgie avantageant les intérêts marchands et financiers.

L’État-nation lui-même, se met au service de l'innovation scientifique et de ses promoteurs mercantiles. Les textes juridiques, les tribunaux les forces de l'ordre protègent ainsi la propriété sous ses divers aspects. Les gouvernements cautionnent donc ces brevets qui récompensent la transformation de plantes en OGM, privatisent des gènes, actent la modification du vivant...

En réalité, subsides, allègements fiscaux, facilités stimulent la prédation tous azimuts des ultra-riches, de ces accapareurs modernes s'appuyant sur l'inventivité technicienne.

            Naguère, lorsqu'un quelconque événement effrayait la Cité, menaçait quiétude, bien-être, santé, sécurité de chacun, le petit peuple se précipitait dans les Églises, allumait des cierges, organisait une procession. Or, lorsqu' aujourd'hui surgit la peur, les humbles citoyens écoutent religieusement le prêche du spécialiste. Et cette piété conduit à s'incliner devant « celui qui sait ».

Pareille attitude, des plus soumises, méconnaît ce discernement séparant mystifications et vérités. Pour bien peser le « pour » en effet, il convient de s'informer au moyen du « contre ». Cependant, une telle mise à distance, nécessaire, devient de plus en plus difficile. Car une censure, omniprésente supprime maints propos jugés impies. Dès lors, l'individu responsable, structuré par les anciennes sagesses, fait place à ce croyant contemporain, à la fois séduit, déboussolé, grégaire.

            Poser un regard lucide sur notre société, met en lumière l'actuelle « technolâtrie » ambiante. Mais semblable clairvoyance, provoque l'indignation de nos modernes dévots. Une sainte colère donc ; laquelle prend pour cible les « mécréants ». Ce qui revient à jeter l'anathème sur de soi-disant partisans d'un retour au Moyen Âge, sur de supposés nostalgiques prônant l'éclairage à la bougie.

Il convient dès lors de défendre une évidence Car refuser la pensée dogmatique du moment, ne consiste pas à proscrire de manière invariable toutes sciences ou techniques. Il s'agit simplement d'affirmer qu'une invention peut s'avérer bonne, mauvaise ou, comme souvent, tout-à-fait inutile. Et, dans la foulée, dire que ce qui  profite d'abord à quelques uns, ne fait pas nécessairement le bonheur d'une communauté, qu'il y a de surcroît possibles dévastations du milieu naturel.

Repousser le toujours plus du système n'est pas un péché, mais une protection vitale. De sorte que l'on empêche les besoins essentiels de se voir engloutis sous le flot des désirs superflus. A cet égard, le meilleur exemple provient de ces multiples appareils destinés au divertissement. Lesquels isolent les personnes, détruisent le lien social, annulent cette solidarité propice aux dissidences collectives.

            Le catéchisme techno-scientifique s'inculque dès l'école. Là, débute le conditionnement des personnes. Un parcours initiatique, au bout duquel spontanéité, émotions, fantaisie, imagination, sentiments, intuition doivent impérativement s'atténuer, s'ajuster à l'austère et froid modèle technologique sanctifié par le pouvoir capitaliste. Alors, parmi cette humanité en voie de formatage, émergent les disciples reconnus. Issus de sévères sélections, ceux-ci se voient un ,jour certifiés conformes, car hautement diplômés. Bientôt devenus apôtres, ils propagent la bonne parole technicienne, parce qu'ils y croient, et que celle-ci les valorise. De tels missionnaires poussent donc chacun à réciter le credo de cette religion séculière : nous devons tous fonctionner de manière tout-à-fait rationnelle, efficace et, surtout, rentable.

            Paul Feyerabend était ce professeur de philosophie des sciences qui enseigna dans les plus grandes universités (Yale, Berkeley, Berlin ...). Et bien qu'il soit déjà connu de beaucoup, sa notoriété grandira davantage grâce à son livre, qui parut en 1975. Un ouvrage fort original, dont le titre lui-même avait de quoi surprendre : « Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance ». En réalité, par cet écrit, l'auteur agissait en iconoclaste.

On lit dans ces pages, nombre d'arguments s'appliquant à détruire cette logique sacrée qui caractérise la pratique scientifique. Car loin des habituelles règles, rigidités, limites, tout est bon pour accroître la connaissance. Aussi laissera-t-on vagabonder, dans toutes les directions, curiosité, intuition, imagination. Pas question donc, de s'agenouiller pieusement devant des faits énoncés par quelque gourou rationaliste. Cela parce que ce dernier est le produit d'un endoctrinement, et l'obtus messager d'une croyance aveugle.

Le savoir authentique a tout autant besoin de profanes que de professionnels, de dilettantes que d'experts. La soif de sécurité intellectuelle ne peut de ce fait supprimer le débat populaire. Lequel   autorise les critiques extérieures au milieu scientifique. Dès lors, en donnant la parole à tous, l'anarchisme ne s'avère pas seulement possibilité d'un monde meilleur, mais se révèle pure nécessité. Un tel idéal politique en effet, se met au service de la science, supprime l'actuelle propagande appelée « raisonnement », permet le seul Progrès bénéficiant au genre humain.

 

Vers le rouage parfait

            Dans son dernier livre (« Le grand récit. Pour un avenir meilleur »), écrit de concert avec Thierry Malleret, et publié l'année dernière, Klaus Schwab cherche visiblement à nous faire peur. En témoignent ces avertissements solennels : « ... l'environnement est au bord de la catastrophe en raison de la menace existentielle que représente le changement climatique... nous avons atteint le point de non-retour... nous devons en tant qu'individus, consommer, voyager et manger différemment, c'est-à-dire d'une manière beaucoup moins intensive en carbone » (pages 17, 61, 177). Et, dans la foulée,  Greta Thunberg – cette petite égérie du combat pro-climat – reçoit alors un accueil triomphal à la Maison Klaus, devient une vedette de ce Forum Économique Mondial  rassemblant maints super-nantis dans la petite ville suisse de Davos.

            Un autre grand personnage de cette mouvance rassemblant maints ultra-riches de la planète, expose lui aussi ses frayeurs par écrit. Le dernier ouvrage de Bill Gates s'intitule en effet « Climat, comment éviter un désastre ». Il énumère alors ses solutions pour contrer l'apocalypse à venir: « ... plus nous consommons des viandes, plus nous avons besoin de végétaux pour l'élevage des animaux... Plus le monde mange de viandes, plus il accélère la déforestation... En se décomposant, les excréments libèrent un mélange de puissants gaz à effet de serre, principalement du protoxyde d'azote, ainsi que du méthane, du souffre et de l'ammoniac. Près de la moitié des émissions liées aux excréments proviennent du lisier de porc, le reste des vaches » (pages 193, 197, 212).

A chaque fois que Bill se mouche le nez, la direction de l'OMS éternue. Nul ne s'étonnera dès lors, que cette organisation, normalement cantonnée au seul domaine de la santé, se mêle à présent de climatologie. D'où cette étude alarmiste, laquelle prédit également une chaleur terrestre apocalyptique dans les temps à venir. Et de nous délivrer alors les « recommandations » convenues.

            Comme il fallait s'y attendre, la grande majorité des médias reprennent avec fougue ces prophéties signalant un cataclysme en approche. Aussi, quotidiennement, ils en montrent les prémisses vraisemblables : énormes incendies de forêts, fonte de glaciers gigantesques, assèchements rapides de rivières, soudaines pluies torrentielles, inondations dévastatrices ...

Pourtant, si l'on prend quelque recul, cet affolement général à de quoi surprendre. Car il s'agit là d'une attitude activée depuis peu. Plus étonnant encore, cette récente panique de toute évidence s'avère pilotée par « en haut ».                        

On sait, depuis les années 1970, que technologie et capitaux prospèrent en ravageant la planète. Mais, tous ont longtemps fermé les yeux sur l'action néfaste de pareil couple dévastateur. Or, surgit maintenant un obstacle majeur que les grands possédants s'efforcent de contourner. En réalité, ceux-là réagissent devant une menace qui pourrait ruiner leurs exorbitants privilèges...

            Dans un avenir (très) proche, il n'y aura plus de pétrole. En conséquence, disparaîtront voitures, camions, bus, avions, bateaux, tracteurs, moissonneuses-batteuses, engins de chantiers... utilisant cette énergie fossile. Et sans le précieux liquide, procurer du chauffage aux domiciles, hôpitaux, écoles, usines, bureaux, magasins... deviendra problématique. En outre, la production d'électricité, de produits, de denrées, ne pourra s'accomplir qu'avec d'énormes difficultés.

Dans l'immédiat, cette future pénurie énergétique, bouleversant de fond en comble notre manière de vivre, doit absolument rester secrète. Avant tout en effet, nos maîtres ont intérêt à « préparer le terrain ». Sans quoi, la grande machine dont ils détiennent les commandes risque bien de s'enrayer. Car les petits rouages que nous sommes, pourraient soudainement s'interdire de fonctionner. S'ensuivrait une subite révolution, déclenchée par des populations fortement appauvries, voire devenues misérables, aux abois. Et, de ce fait, à présent adonnées au partage des ressources.

            Le pouvoir actuel lance un grand cri d'alarme, en pointant du doigt les hausses de température. Et, à partir de là, change peu à peu sa stratégie. Bientôt, il ne s'agira plus pour lui de récompenser ces producteurs-consommateurs motivés, qualifiés, spécialisés. Lesquels ont toujours été considérés comme de « bons éléments », car au service, direct ou indirect, des grandes fortunes. Ce qui va plutôt se mettre en place, prochainement, c'est un système punitif. De sorte qu'on s'appliquera à traquer les « pollueurs », les « désobéissants », ceux qui oseront se moquer des sévères normes écologiques en vigueur.

Invariablement, un contrôle social accru se réalise à l'aide de convaincants prétextes. Et d'éradiquer alors les libertés acquises, en affirmant vouloir préserver bien-être, santé, sécurité. Aujourd'hui, le discours dominant ose même invoquer la « survie des générations futures » !

Une société qui fonctionne sans pétrole, émet très peu de gaz à effet de serre. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'examiner l'empreinte environnementale de nos arrière-grands-parents. Aussi, tous ces effrois émis par la propagande catastrophiste apparaissent-ils comme perfide stratagème. Lequel s'avère conçu par cette minorité craignant pour son hégémonie.

            L'apocalypse climatique n'aura jamais lieu. Par contre, un « capitalisme de la surveillance » se met en place. Une fois de plus, technologie et classe dominante agissent ici en toute complicité. Aussi, les algorithmes vont contrôler tous les aspects de notre vie. Ils croiseront alors leurs multiples données, pour savoir qui nous sommes, connaître nos plus intimes motivations, et modeler davantage chacun de nos comportements. Et ce, avec l'appui de ces alliés irréfléchis que sont les écolos, les décroissants, les croyants au cataclysme annoncé par la Caste.

Pareil flicage absolu, favorisera l'avènement d'un homme réduit à ce petit rouage perfectionné. Mais, cela ne suffira pas. Encore faudra-t-il en finale, que se fasse cette totale fusion entre la machine et l'humain. Surviendra donc le cyborg, celui voulu depuis longtemps par le transhumanisme.

Gablou