Centre d'Étude du Futur

« Il en sera comme d'un homme qui, avant de partir en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. Il donna cinq talents à l'un, deux à l'autre et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit en voyage. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents partit, les fit valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres. Celui qui n'en avait reçu qu'un alla faire un trou dans la terre et cacha l'argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre compte. Celui qui avait reçu les cinq talents s'approcha, en apportant cinq autres talents et dit : Maître tu m'as confié cinq talents ; en voici cinq autres que j'ai gagnés. Son maître lui dit : C'est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. Celui qui avait reçu les deux talents s'approcha aussi et dit : Maître, tu m'as confié deux talents ; en voici deux autres que j'ai gagné. 

Son maître lui dit : C'est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. Celui qui n'avait reçu qu'un talent s'approcha ensuite et dit : Maître, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n'as pas semé, et qui récoltes où tu n'as pas répandu ; j'ai eu peur et suis allé cacher ton talent dans la terre ; voici, prend ce qui est à toi. Son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je récolte où je n'ai rien répandu ; il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour, j'aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt. Ôtez lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents, Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ». (Matthieu 25, 14-30)

            Cette parabole de Jésus a fait couler beaucoup d'encre. De fait, les interprétations qu'elle suscite encore de nos jours apparaissent fort nombreuses.

Il s'agit là d'un texte important. Car la trame qui le structure, se retrouve dans d'autres récits. Ainsi, la  Parabole des dix vierges (Matthieu 25, 1-13) ou encore la Parabole des mines (Luc 19, 11-28) développent un thème similaire. De sorte que pareille insistance, traduit une réelle volonté d'attirer notre attention sur un problème vital.

D'autre part, le Christ nous délivre un enseignement allant bien au-delà des seuls préceptes religieux. Parce qu'une lecture profane de ce texte sacré, dévoile des principes philosophiques essentiels. En réalité, c'est un art de vivre que chacun peut découvrir ici.

            Si l'on jette un regard sommaire sur la vie, celle-ci semble terriblement injuste. Certains en effet, naissent dans un milieu éminemment aisé, se voient ensuite choyés par des parents attentifs, bénéficient d'une instruction hors pair, héritent d'une fortune considérable. Et, parfois, semblables avantages dus aux circonstances, s'enrichissent de bienfaits octroyés par l'hérédité. Dans ce cas, un patrimoine génétique propice peut fournir une santé à toute épreuve, des traits physiques harmonieux, une grande taille, mais aussi montrer des dispositions naturelles appréciées en société, présenter force qualités susceptibles de conforter le pouvoir en place. Voire, de posséder le possible atout d'avoir la peau blanche ou d'appartenir au genre masculin. 

            Ce que l'on a semé en nous, chances comme malchances, le bon grain aussi bien que l'ivraie, tout cela appelle une récolte. Parce que régulièrement ensemencés par nombre de hasards, nous avons à nous montrer fertiles.

A tous, l'existence enjoint d'être. Le but premier n'est donc pas celui de l'avoir. Non. L'unique production que demande la vie se résume par un cri : Deviens celui que tu es !                

Se reconnaître en tant qu'individu, se découvrir unique, singulier, authentique, constitue notre première mission. S'ensuit l'acceptation de l'altérité générale. Les autres, eux aussi, sont des êtres particuliers. Et de là, se déduit que tous ont le droit d'évoluer en suivant un parcours distinct.

Semblable respect, débouche tout naturellement sur ce qui fonde une harmonieuse union entre les hommes : la liberté et l'égalité. C'est alors que peut commencer cette moisson tant attendue ; laquelle a pour nom fraternité.

            Dans la parabole précitée, ceux qui sont largement pourvus montrent une très grande honnêteté.  Totalement désintéressés, ils ne cherchent nullement à tirer un profit personnel de l'argent reçu.            

Là encore, la leçon paraît évidente. Ceci signifie en effet qu'il faut rendre, et non accaparer lorsqu' abondent les bienfaits généreusement distribués par le sort. Rien de plus indigne dès lors, que ces privilégiés se voulant prédateurs, agissant en exploiteurs des moins nantis, confisquant égoïstement les ressources collectives, s'imaginant supérieurs au commun des mortels.

Finalement, ceux-là ne considèrent pas les humains en tant qu'êtres différents, parce qu'ils veulent croire à la prétendue inégalité foncière. C'est-à-dire un mensonge, qui s'efforce de justifier leurs dominances et convoitises.

            Obéir se révèle plus facile que d'apprendre à penser de manière autonome. Une telle paresse cependant, qui conduit nombre de gens au conformisme, peut parfois provenir d'un destin cruel. Car le vécu de certains cumule, dès la naissance, les mauvais traitements, humiliations, reproches, déceptions. Aussi, pareils défavorisés intériorisent honte, flétrissure, culpabilité. Et se trouvent de ce fait, dans l'impossibilité d'acquérir la nécessaire estime d'eux-mêmes. 

Cet auto-dénigrement, empêche de consentir à l'unicité du moi. Or, comment aimer son prochain quand on ne s'aime pas soi-même !? Par conséquent, pour s'adapter au vivre-ensemble, ne reste alors qu'un seul choix : se blottir au sein d'un troupeau. Avec pour suite logique la constante frayeur de déplaire, de se voir montré du doigt, de subir l'agression des « semblables », de sortir du rang en provoquant aussitôt la colère d'un quelconque chef.

C'est un autre récit (la Parabole du semeur, dans sa dernière partie  - Matthieu 13, 20-21), qui résume ces obstacles à surmonter afin d'acquérir la plénitude menant à l'altruisme : « Celui qui a reçu la semence dans des endroits pierreux, c'est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie. Mais il n'a pas de racine en lui-même, il est l'homme d'un moment, et dès que survient l'affliction, ou la persécution à cause de la parole, il y trouve une occasion de chute ».

                                L'Amérique contre Robin des Bois

            « ... les fortunes se sont bâties grâce au travail et non par des rapines, et, à la place des spadassins et des esclaves, est apparu le véritable créateur de richesses, le vrai travailleur, l'élite des hommes : le self-made-man, l'industriel américain ... Robin des Bois ... s'est paré d'une auréole de vertu en faisant la charité avec des richesses qui ne lui appartenaient pas, en distribuant des biens qu'il n'avait pas produit, en pratiquant une charité d'autant plus généreuse que d'autres auraient à en supporter les frais. Il symbolise l'idée que le besoin et non l'effort donne des droits ... Il justifie l'existence du médiocre, incapable de se prendre en charge, qui exige de disposer des biens de ceux qui lui sont supérieurs ... » (pages 421 et 582 du roman La grève).

Voilà ce que l'on trouve dans un livre célèbre, car le plus lu et le plus vendu aux USA (si l'on excepte bien sûr, ce best-seller intemporel: la Bible). Or, bien que peu connu en Europe, ce volumineux ouvrage (entre 1.200 et 1.800 pages selon les éditions !) était disponible dès 1957.

            La romancière à l'origine d'un tel succès, s'appelait Ayn Rand. Celle-ci naquit en 1905, date à laquelle ses parents étaient propriétaires d'une grande pharmacie, située dans la ville russe de Saint-Pétersbourg. Mais deux décennies plus tard, lorsque le régime soviétique vint à confisquer les commerces, la famille s'enfuirait aux USA,. Et c'est avec enthousiasme que la jeune émigrée  adopterait sa nouvelle patrie. Développant un goût inné pour l'écriture, célébrant l'affairisme américain, obsessionnellement anticommuniste, semblable pasionaria irait alors jusqu'à dénoncer l'altruisme. Lequel, à ses yeux, aurait  pour but de culpabiliser, puis de voler les gagnants !

            Qui se frotte à ses écrits, ressent aussitôt une froideur glaciale. Car ici, la pensée se veut radicalement objective. C'est-à-dire uniquement fondée sur des faits, et considérant dans la foulée les émotions, sentiments, croyances comme autant de déroutes mentales. Ce qui institue la machine en modèle, met en valeur l'inhumain.

De par cette approche tronquée de la vie, les seules idées valides reposeraient sur la réalité. Et pour analyser correctement celle-ci, resterait à mettre en branle la supposée toute-puissante raison. D'où cet étonnant postulat : puisque l'homme recherche inlassablement le bonheur, il doit, dans ce but, déployer un légitime égoïsme rationnel.

Un tel être hyper-cartésien, avancerait joyeusement dans l'existence parce que jouissant d'une grande estime de lui-même. Il saurait en effet, se reconnaître comme individu productif, entreprenant, créateur. Dès lors, sa réussite lui semblerait tout à fait justifiée. Semblable heureux méritant, pourrait alors, sans complexe aucun, profiter pleinement du fruit de ses efforts. Aussi, le droit de propriété aurait à s'ériger en règle véritablement sacrée. Soit un principe de justice, lequel protégerait les récompenses conquises par une activité hors normes.

            C'est à partir de ces quelques dogmes, qu'Ayn Rand élabore une idéologie glorifiant des appétits vulgaires. Déjà, elle déteste tous les philosophes. Et s'acharne particulièrement sur Emmanuel Kant. Cela parce que ce penseur a placé l'impératif moral au centre de son œuvre. Mais, à cette détestation générale, existe toutefois une exception.

Notre auteure américaine, à de multiples reprises, cite élogieusement Aristote. En fait, elle considère celui-ci comme rare sommité intellectuelle capable d'une pensée purement logique. Or, dans son ouvrage intitulé « Politique », cet ancien Grec développe l'idée suivante : « Certains sont nés pour commander, tandis qu'une majorité d'autres est faite pour obéir » (Livre 1, chapitre 5). De sorte que le concept race des seigneurs, autrefois clamé par Adolf Hitler dans Mein Kampf, semble sortir du « même tonneau ».

En réalité, la domination sociétale, toujours exercée par une soi-disant élite, se raconte telle une histoire s'étalant sur quelques 10.000 ans.

            Mr Nietzsche l'avait constaté : la noblesse est cette faculté qui permet d'agir contre son intérêt. Il y eût ainsi de ces époques où contraindre le grand nombre, exigeait en retour d'acquiescer au sacrifice suprême. Aristocratie et clergé d'alors, partageaient cette solide conviction : mieux vaut perdre la vie que de faillir à l'honneur, abjurer sa foi, renier des principes essentiels. Et ceci conférait aux puissants, une distinction, un maintien, une allure, un style.

Bien sûr, toutes les formes d'oppression doivent être ardemment combattues. Sauf qu'il se trouve des ennemis méritant notre respect. Simplement parce que pareils dominants, aspirent à la grandeur. Mais aujourd'hui, bien après l'emprise séculaire des guerriers et des prêtres, nous avons à nous défendre contre le pouvoir des marchands. Or, ces nouveaux maîtres sont laids, sont esclaves asservis par l'appât du gain ou la fringale de notoriété.           

            Toute la production littéraire d'Ayn Rand exprime une tentative ; celle d'insuffler de l'orgueil là où il ne saurait y avoir que vaniteuses trivialités. Sous sa plume, l'ambitieux qui réussit se révèle héroïque, l'argent gagné permet de calculer la vertu d'un individu, l'avidité devient qualité supérieure car supposée produire la richesse collective, l'égoïsme s'énonce comme intention morale de la nature, le bonheur s'obtient grâce au laisser-faire capitaliste ...

            Sa notoriété provient surtout de son best-seller « La grève » (parfois intitulé, selon les traductions,  « La révolte d'Atlas »). Lequel raconte la survenance d'un repli réprobateur, celui de gens qu'elle considère comme des héros. Car ces derniers, ces industriels, investisseurs, inventeurs, scientifiques ... se retirent dans un lieu secret, laissant à leur triste sort les incapables, les médiocres, les ratés, les envieux ; autrement dit la grande masse des inutiles.

De par sa vision des choses, tous les êtres piètrement situés sur l'échelle sociale agissent en véritables parasites. Ils ne cessent en effet d'imposer un honteux partage des richesses, de ponctionner la juste rétribution des efforts accomplis par qui leur est supérieur. Soit une spoliation qui s'exerce au détriment de la vertueuse minorité agissante. Dès lors, nous apprend le livre, celle-ci devient gréviste, décide ainsi d'échapper à ce racket permanent. Parce qu'il s'agirait là d'une absurde injustice. Car serait grâce à quelques individus compétents que s'améliorerait le niveau de vie de chacun, que croîtrait le bien-être général.

            La vieille Europe a connu maintes péripéties religieuses, philosophiques, politiques. De ce fait, elle cultive nombre de doutes, scepticismes, relativismes. Par contre, à cet égard, la société Nord-américaine paraît bien jeune encore. Peut-être est-ce pour cela que la prose d'Ayn Rand empoisonnera, durablement, les mentalités de là-bas.

                                                    Une infection qui s'étend

            L'intérêt personnel, cet absolu tant vanté par Ayn Rand, deviendrait empressement général ; lequel se verrait surnommé dynamisme américain. Séviraient ensuite les théoriciens de l'école de Chicago, avec à leur tête Milton Friedman. Et pareils économistes feraient en sorte, à l'aide de chiffres ou formules mathématiques, de « prouver » le bien-fondé de cet égoïsme rationnel prôné par notre très élitiste auteure.

S'ensuivrait alors l'action politique. De sorte que celle-ci mettrait en place nombre de mesures avantageant les entrepreneurs. Aussi, le monde se verrait peu à peu colonisé, façonné selon l'utopie néolibérale. C'est ainsi que le président américain (Donald Reagan) et la première dame britannique (Margareth Tatcher) useraient grandement de leur influence internationale pour répandre ces dogmes, cet ultra-capitalisme.

            La religion serait également mise à contribution. Elle viendrait donc en appuis du nouveau culte économique. Certes Calvin avait déjà tracé la voie. Pour lui, tous les individus étaient prédestinés. Dès leur naissance, Dieu choisissait pour eux, vouait les uns au ciel et les autres à l'enfer. Mais, il semblait possible de décrypter ici-bas les intentions du Très-haut. Parce que celui-ci dispensait préalablement ses bienfaits, comblait sans délais aucuns les futurs élus. Dans ces conditions, le riche disposant de biens considérables pouvait en plus se targuer d'être un juste !

Plus étonnante encore, apparaîtrait cette interprétation des évangiles par l'idéologie mercantile.

            Ainsi, la parabole de la pauvre veuve (Marc 12, 41-44 et Luc 21, 1-4) se traduirait comme apologie d'une loi commerciale essentielle. A savoir qu'une marchandise doit être convoitée des futurs acheteurs pour que ceux-ci acceptent d'en payer un prix convenable. Et le Christ nous expliquerait alors, par un récit, que la dérisoire offrande, effectuée par une femme sans le sou, surpasse en valeur les importantes oboles octroyées par d'opulents personnages. Ce n'est donc pas le travail accompli qui devrait déterminer combien vaut un produit, mais bien le libre intérêt que lui porteraient les consommateurs !

Cette relecture idéologique du Nouveau Testament s'attarde également sur un certain maître de vigne (Matthieu 20, 1-16). Or, parmi les ouvriers à son service, les derniers arrivés prendraient un risque car ne sachant pas combien ils seront rémunérés. Heureusement pour eux, leur patron ne se soucie guère du travail presté, et justifie ses décisions arbitraires par son droit de propriété !

En réalité, pareille propagande va crescendo, enfle verset après verset, pour culminer avec la parabole des talents.

            On peut sans peine accommoder cette histoire de talents distribués, en réduire la portée, la transformer en problème d'argent ou question financière.

Une telle parodie nous montre alors combien sont appréciés les entrepreneurs. Parce que ces derniers osent miser gros, fournissent ainsi l'indispensable condition pour que fructifie au mieux le capital confié. En revanche, honte au poltron ! Lequel craint d'exposer le moindre pécule, pourtant susceptible de se multiplier. Aussi, pareil pusillanime individu encoure une sévère punition. Cela parce qu'il est indispensable que tout investissement soit correctement rémunéré. D'autant que celui qui répugne à spéculer, peut toujours opter pour quelque lucratif placement auprès des banquiers.

De surcroît, une échelle hiérarchique s'établirait entre les protagonistes, et ce, dès le départ de semblable boursicotage. Car tous n'auraient pas les mêmes capacités. Par conséquent, chacun reçoit  un montant calculé selon son mérite, son aptitude à créer des richesses.

Jésus apparaît donc ici en chaud partisan du capitalisme, ainsi qu'en promoteur de l'inégalité !

            Après avoir conquis l'Amérique, les idées d'Ayn Rand, à présent mises en pratique par l'utopie néolibérale, se propageraient partout. Mais cette américaine façon de considérer l'économie, la politique, voire même la religion, bouleverserait plus particulièrement le monde occidental.

Soumise à ce nouveau modèle, la vieille Europe y laisserait son âme. Et, se perdrait en s'affalant douillettement dans la servitude volontaire.

A sa décharge cependant, il faut reconnaître qu'un soulèvement général contre pareille tyrannie, s'avère actuellement impossible. Aujourd'hui, on ne saurait en effet lutter efficacement contre semblable domination. Car celle-ci, pour nombre d'individus concernés, reste encore invisible.   

            Se croyant libre, la population suit docilement ce mot d'ordre apparemment inoffensif et, de plus, fort séduisant : « Fais-toi plaisir ! ». De sorte que se multiplient, au sein d'un public à présent décomplexé, les conduites égoïstes, narcissiques, nombrilistes. D'où cette perpétuelle course vers le « toujours plus », l'incessante poursuite d'un mirage susceptible d'octroyer le bonheur parfait.

Se vautrer dans le luxe représente toutefois une pratique réservée à l'élite. Et dans l'impossibilité d'approcher un tel modèle, on pourra toujours imiter celui-ci. Dès lors, grâce au crédit, une aisance simulée adoucira les blessures infligées aux ego surdimensionnés.

Faire semblant peut satisfaire certains, d'autres cependant, envisagent l'ascension de l'échelle méritocratique. Il appartient donc aux ambitieux de grimper, de se mettre en avant par le biais de quelque diplôme, patrimoine, succès commercial, position hiérarchique ; soit, en un mot, de réussir.

Lorsqu'on se fait un devoir d'accéder à l'un ou l'autre échelon supérieur, il faut nécessairement jouer des coudes. De fait, devenir l'entrepreneur de soi-même en rentabilisant son potentiel personnel, active le principe de concurrence. Compétition qui, souvent, stimule la condescendance, voire ce dédain, envers qui végète aux niveaux inférieurs. Or, c'est là réagir en valet du pouvoir, car pareille attitude détruit cette coopération favorisant révolte et changement de régime.

En outre, maints soumis se justifient en prétendant : le progrès social ne s'obtient que par les seules avancées technologiques ! 

            Une autre victoire du système se traduit par un rejet, quasiment unanime, des idéologies, des étiquettes. Nos contemporains en effet, refusent de sacrifier le moindre avantage personnel - devenu but suprême de l'existence - au bénéfice d'une éventuelle croyance, d'un possible absolu. Car un tel abandon n'occasionnerait que des ennuis. Fuyant ce risque, ceux-là se cramponnent à leurs petits conforts, se conduisent tels des moutons. Ils acceptent alors de se voir tondre, confortent de ce fait un ordre social injuste, tout en encourageant ce mépris des puissants envers le menu fretin.

S'imaginer exempt d'une quelconque influence, constitue une illusion fréquente. Pourtant, l'immersion dans une société telle que la nôtre, revient à subir des pressions psychologiques constantes, bien que non perçues. A tel point que cet environnement, exigeant des producteurs-consommateurs conformes, paraît à beaucoup tout à fait naturel. Néanmoins, sachons-le : choisir un idéal allant à l'encontre du modèle imposé, s'avère l'unique moyen d'échapper à l'idéologie boutiquière, soit expulser cette emprise éminemment sournoise.         

                            Quand Superman devient l'exemple à suivre

            Au sommet de la pyramide sociétale, trône ce 1% de l'humanité qui tente de diriger le monde. Cette petite minorité agit dans la plus totale discrétion, mais use d'une grande influence. A vrai dire, elle essaye de conduire, à son plus grand profit, la politique des États-nations. Ce sont donc ses marionnettes qui agissent au grand jour. Et pareils pantins, persuadent alors le bon peuple que leurs actions s'expliquent par l'obstinée recherche du bien-commun.

Si les super-nantis préfèrent l'ombre à la lumière, il existe toutefois nombre d'exceptions à cette règle. La propagande des puissants en effet, réclame quelques figures de proue. Car montrer combien les ultra-riches se révèlent exceptionnels, réussit à courber bien des échines. De fait, beaucoup se croient tout petit lorsqu'on met en valeur quelque individu déguisé en génie. Or, une telle mascarade a pour but de susciter un stupide sentiment d'infériorité, provoquer une béate admiration, encourager l'imitation de semblable modèle. Mais en finale, cette stratégie s'évertue à désarmer les esprits, à désamorcer toute atteinte à l'ordre imposé.

            Souvent, se mesurer à l'aune d'un « grand homme » engendre ce nocif ressenti de « n'être pas grand' chose ». Pourtant, vaincre cette sorte d'accablement s'avère très facile. Il suffit pour cela de comprendre à quel point notre libre-arbitre se révèle ténu. Cela parce que nous sommes d'abord le modeste résultat d'une hérédité. Et que, bien davantage encore, notre personnalité s'établit sous l'action d'heureux ou malheureux hasards, par le complexe jeu de nombreuses circonstances. 

Les opportunités, elles aussi, sont le fruit d'un destin capricieux. De sorte que l'adolescent évoluant au sein d'une famille américaine aisée, possède déjà moult atouts dans son jeu. Si l'on ajoute que pareil privilégié fréquente avec assiduité une université californienne renommée, son avenir professionnel paraît dès lors particulièrement prometteur. Et quand celui-là vit à l'époque où apparaissent les premiers ordinateurs personnels, il lui suffit alors d'un peu d'enthousiasme pour s'investir à fond dans cette technologie nouvelle.

En revanche, qui a vu le jour dans un bidonville de Calcutta, ne pourra probablement pas briller en innovant dans le domaine informatique, ne parviendra vraisemblablement jamais à créer son entreprise dans la Silicon Valley.

            Chaque bébé qui vient au monde bénéficie d'un héritage colossal. Cela parce que des milliards de gens vécurent avant sa naissance pour lui léguer ce qu'ils ont pensé, imaginé, découvert, réalisé, perfectionné. C'est pourquoi la mystification contemporaine verse dans le ridicule lorsqu'elle présente son héros : l'entrepreneur parti de rien.

Plus plaisant encore, apparaît ce tour de passe-passe qui transforme d'arrogants self-made-man en personnages contestataires. Et certains de ces arrivistes, fortement médiatisés, osent même se prétendre ... anarchistes ! En réalité, il s'agit ici d'une révolte de pacotille, d'un trépignement rageur propre aux enfants gâtés quand surgissent devant eux des obstacles contrariant un caprice. Aussi, ces conformistes, purs produits d'une structure sociétale dévoyée, se « rebellent », rejettent toute entrave à leurs appétits sans limites.

           Une autre légende, attribue une intelligence supérieure à ces riches dirigeant le monde. Semblable vision, qui justifie également les inégalités sociales, néglige tout à fait le succès procuré par l'effort. Existerait donc chez ceux-là, une supériorité innée due à quelque bagage génétique remarquable. Or, il est prouvé maintenant que l'on peut accroître ses capacités intellectuelles au fil du temps. Ceci parce que le cerveau détient une grande plasticité. Ce n'est donc pas l'hérédité, mais bien les conditions d'existence qui déterminent la vivacité de l'esprit ou le souffle créateur.

De même,  nier l'influence de l'intelligence collective pour croire aux réalisations produites par un individu totalement solitaire, revient à s'enfoncer plus encore dans l'absurde. Car nous sommes tous différents. Ce qui conduit chacun à percevoir, puis à recréer, le réel d'une manière qui lui est propre. En outre, nous ne détiendrons jamais qu'une petite partie de l'information. Aussi, qui se met avantageusement en scène, dissimule sa dette envers une équipe à la fois discrète et performante.

                       Agir   

            Ce sont les petits groupes déterminés qui activent le moteur de l'histoire, et non pas l'un ou l'autre individu prétendument exceptionnel. C'est-à-dire que le progrès général survient là où prospère le débat véritable, là où la liberté de parole ainsi que l'égalité entre tous, s'avèrent posées en principes absolus. De fait, sortir de l'impuissance politique actuelle s'accomplira d'abord par une alliance favorisant la lucidité, elle-même renforcée par un refus de se mettre en valeur au détriment d'autrui. Contrer l'isolement de chacun tout en bannissant le principe de concurrence, constitue  ce premier pas qui permettra de sortir d'un système dédié aux seuls intérêts d'une minorité.

Cependant, se réunir sans subir moqueries ni contraintes d'aucune sorte, ne suffit pas. Car les dogmes mercantiles et le messianisme technologique entretiennent fatalisme, résignation, passivité. Aussi nous faut-il élaborer un grand récit, une alternative solide, apte à susciter de l'enthousiasme, capable dès lors de générer un monde meilleur.

A l'heure actuelle, nous n'avons guère le choix. Une seule forme d'idéalisme apparaît valable aujourd'hui. Et c'est celle qui s'oppose à la dictature en approche ...

            Le 29 mais 2005, les Français se voyaient appelés aux urnes. A cette occasion, ils devaient approuver ou non, par le biais d'un référendum, la future constitution européenne. Or, semblable consultation déboucherait sur un rejet, concrétisé par 55% de votes négatifs. Malgré ce résultat, le gouvernement de l'hexagone allait trahir cette volonté populaire exprimée de la sorte. Car, quelques années plus tard, il ratifierait un texte à peu près similaire. Lequel pourtant, amoindrissait considérablement la souveraineté nationale.

Chez les Grecs, l'année 2015 fut celle de la grande euphorie. Pour la première fois en Europe, une coalition d'extrême gauche accédait au pouvoir grâce à des élections librement organisées. Et le programme de ces heureux élus se résumait en quelques phrases : refus d'une austérité généralisée, rejet de toute privatisation de services publics ou biens appartenant à la collectivité, bien-être accru pour le peuple. Hélas, peu de mois après, ces belles promesses se verraient enterrées. Pire encore, à cause de mesures rigoristes et coercitives, la Grèce allait rapidement s'enfoncer dans une misère accablant le plus grand nombre.

Plus récemment, une déconvenue majeure désespérerait d'autres électeurs. Si les Grecs en effet, s'étaient fiés aux discours fortement colorés de rouge, les Italiens par contre, avaient fait confiance aux allégations assénées par l'extrême droite de l'échiquier politique. Or, le slogan, inlassablement répété, de ces ultra-nationalistes à présent au pouvoir, tenait en peu de mots : « Les immigrés, à la porte ! ». Aussi est-il aisé d'imaginer la consternation des partisans de pareils beaux parleurs, quand ceux-là entendirent la récente et néo-fasciste cheffe de l’État affirmer : « Nous allons faire venir 452.000 nouveaux travailleurs étrangers » !

           

            Maintes instances internationales nous entraînent dans un tourbillon de règles contraignantes avalisées par nos politiciens. Ainsi, Commission européenne, BCE, Fond Monétaire International, OCDE, Organisation Mondiale du Commerce ... mobilisent des gens pour lesquels nous n'avons jamais voté. Mais, qui s'appliquent à formater notre manière de vivre. Et – comme on l'a vu plus haut – qui exercent moult pressions sur nos élus pour ... rectifier les « dérives électorales » !

Nos libertés démocratiques actuelles, déjà fortement entamées par cette mondialisation, risquent sous peu de disparaître tout à fait, à cause de ce fameux traité donnant les pleins pouvoirs à l'Organisation Mondiale de la Santé. Semblable organisme régenterait alors les politiques sanitaires, écologiques, climatiques, éducatives ... de multiples pays. Et, puisque « l'intérêt général » se verrait  brandi sans arrêt, exclusions, coercitions, sanctions, accompagneraient inévitablement un tel plan.

Le mondialisme intervient donc grandement dans la composition de cet poison liberticide, conçu par des ultra-riches. Déjà, cette mixture malfaisante provoque l'anémie du corps social. Car elle frappe celui-ci d'impuissance en le fragmentant à l'infini, lui ôte toute vigueur par effacement progressif des libertés individuelles, l'asphyxie au moyen de divertissements et d'informations pléthoriques, le paralyse par carence de projet politique émancipateur.

            Préconisé par certains, l'antidote consisterait à revenir en arrière, à régénérer le patriotisme d'autrefois. Pareil remède nationaliste, écarterait ainsi toute emprise pathogène extérieure, en fermant hermétiquement les frontières. Un isolationnisme donc, qui rejetterait en bloc ces diktats résultant de multiples accords internationaux.

Une telle solution cependant,  ne résoudrait qu'une partie du problème. Car semblable palliatif s'appuierait encore sur le parlementarisme actuel. Or, si l'on se veut libre, il faut ouvrir les yeux. Reconnaître que ces élections, réclamant ponctuellement notre vote, servent avant tout à se choisir des maîtres. Et que ces derniers, agissent en dociles éléments d'un système se vouant au profit.

Puisque l'appât du gain régente toute la société, le domaine politique s'aligne inévitablement sur pareille tendance. Aussi, pullulent dans ce créneau les arrivistes aux dents longues, les carriéristes cherchant des privilèges. Et ces leaders professionnels, se concentrent aussitôt sur leur prochaine réélection, négligeant de ce fait la recherche, pourtant primordiale, du bien commun. Or, placer au pouvoir des gens à ce point motivés, c'est prendre cet énorme risque de les rendre corruptibles.

En outre, réussir en politique requiert une grande obéissance. Parce que la discipline de chaque parti ne permet ni les idées audacieuses ni les visions à long terme. De plus, en cas de marchandage avec un groupe adverse, chacun doit ravaler ses éventuels idéaux, au profit d'une possible coalition.

Bien sûr, on rencontre ça et là des politiciens désireux de servir sincèrement le public. Mais, ils se voient très vite distancés par maints bruyants baratineurs. Car ceux-ci savent vendre leur personnalité narcissique, en usant de promesses qu'ils ne tiendront jamais.

            Un jury d'Assises se compose de citoyens tirés au sort. Soit une responsabilité détenue par le peuple, afin d'arbitrer un important problème humain. Cette charge dès lors, pourrait servir à l'organisation de notre vie en commun. D'ailleurs, un tel moyen de faire société, a longuement été théorisé par d'excellents auteurs, dont notre compatriote David Vanreybrouck. De sorte que l'on verrait des inconnus, désignés par le hasard, décider collégialement de toute disposition susceptible de régir la Cité. Ceci, par le biais d'un mandat limité dans le temps, et non renouvelable.

Trois groupes, complémentaires, travailleraient ainsi dans la concorde pour mieux se consacrer à l'intérêt général. La première de ces assemblées populaires, déterminerait les problèmes à résoudre, formulerait en conséquence les recommandations et projets de loi nécessaires. Il appartiendrait alors à la seconde équipe de retenir ou pas de telles propositions. Puis, en cas d'accord, de légiférer après un vote. Enfin, le dernier collectif veillerait à la régularité de ces avancées législatives. Et, pour ce faire, il serait également à l'écoute des citoyens. Car ceux-ci, ayant vu les débats sur Internet, pourraient dès lors exprimer leur avis, par courriels, pétitions, référendums.

            Aux assises, le juge présidant aux délibérations des jurés, représente une figure centrale. Il est en effet mandaté pour encadrer la discussion, en rappelant constamment les enjeux. Nous aurons donc besoin, dans cette démocratie véritable, de tels modérateurs professionnels, neutres et honnêtes. Il s'agit en effet de contrer ici l'influence néfaste des grands médias, quasiment tous acquis à la cause mondialiste. Un autre écueil cependant, pourrait aussi provenir de ces gens contaminés par l'ambiance d'aujourd'hui. De fait, beaucoup de fanfarons voudront monopoliser la parole, cherchant de la sorte à briller. Aussi, le meneur de jeu enrayera les logorrhées inopportunes, tout en essayant d'arracher un avis aux timides. Mais, sa mission première sera d'assurer la diversité des intelligences. Et de refuser par là, le quasi monopole des universitaires ; lesquels investissent, à 95%, le milieu politique, alors qu'ils représentent moins de 10% de la population totale.

            Nous ne sommes peut-être pas nés au meilleur endroit, ni au bon moment. Néanmoins, chacun reçoit dans sa vie moult bienfaits. Et, comme l'enseigne la parabole des talents, il nous faut rendre avec intérêts. Dès lors, travailler à la sortie de ce mauvais vaudeville, dans lequel l'électeur tient le rôle du cocu, paraît tout indiqué. Non seulement ceci pourrait restaurer la coopération entre les citoyens, mais donnerait aussi le moyen d'arrêter dictature et transhumanisme qui s'avancent.

                                                                                    

                                                                                           Gablou