Centre d'Étude du Futur

Quoi de plus instructif que de consulter les offres d'emploi. Quoi de plus étonnant aussi! Le néophyte qui parcourt ces propositions d'embauche insérées dans nos journaux, ne manque guère de surprises. Dans les pages spécialisées s'étalent ainsi maints placards réclamant des battants, des vainqueurs, des combatifs, des ceux-qui-en-veulent, des ceux-qui-ignorent-la-défaite, des ceux-quichaque-jour-veulent-relever-un-défi, ...
S'agit-il, par le biais de telles annonces, de recruter des paras, des commandos, des baroudeurs pour quelque expédition militaire? Que nenni! Le lecteur attentif de cette prose martiale, constate très vite que les guerriers sollicités ne doivent nullement se présenter comme experts en grenades ou mitrailleuses. Ce n'est pas à Rambo que l'on propose un job, mais bien aux financial controler, full supervisor, project analyst, district sales manager, product engineer, data base administrator et autres account executive.
On recherche ici des spécialistes en belligérance boutiquière, des gradés prompts à mener leurs escouades à l'assaut du Marché. Car, pour ceux qui l'ignorent encore, nous sommes en guerre. Et celle-ci est économique autant que planétaire.

Il existe différentes manières de guerroyer. Parmi ces façons d'en découdre, la plus classique appartient aux armées du XVIIIème siècle. À cette époque, les batailles rangées avaient pour seul objectif de s'adjuger des portions de territoire. Une ville, une province, une région s'arrachait au camp adverse, et cette victoire clôturait l'affrontement.
De telles conquêtes territoriales s'appuyaient sur une stratégie élaborée, elle-même soutenue par la mobilité des régiments. On étudiait l'adversaire, on le feintait, on le manoeuvrait afin de percer ses lignes au point vulnérable. Or, c'est à cette forme de combat que s'apparentent les hostilités commerciales.

Si donc je vends des frites (pour citer un exemple stratégique fort simple, et très belge), le conflit commence lorsque une friterie concurrente s'installe à proximité.
Je pourrais lancer une charge frontale visant à me débarrasser de ce gêneur. Pour cela, il faudrait abaisser considérablement le prix de vente de mes cornets. Mais l'autre riposterait à coup sûr en usant du même procédé. Dans ce cas, je devrais réitérer la manoeuvre. Et, de bradages en contre-attaques, je glisserais là dans une spirale engloutissant beaucoup d'argent. De plus, ce duel sans merci tournerait peut-être à mon désavantage; désastre qui signifierait ma perte. Aussi, l'élimination de mon concurrent ne saurait constituer un objectif en soi.
Pour sauvegarder la prospérité de mon commerce, je vais plutôt tenter la conquête d'un nouveau territoire (d'une clientèle différente). Ce qui requiert une préparation tactique.

Avant de partir en campagne, j'effectuerais d'abord quelques opérations de reconnaissance (une étude de marché). Celles-ci me renseigneront sur la nature du terrain convoité (sur la potentialité du créneau commercial envisagé) et situeront la position des lignes adverses (les clients de mon concurrent). Puis, grâce à ces données, je procèderais à l'élaboration d'un plan de bataille.

Bien sûr, ce dernier, n'envisagera pas ici le déploiement de l'infanterie (l'utilisation de démarcheurs), tant il paraît évident que des tirs d'artillerie bien ajustés (des annonces publicitaires ciblées) suffiront à forcer la victoire. Ce pilonnage accompli, et à partir de mon camp retranché (assuré du bénéfice produit par mes frites), je passerai à l'offensive (je proposerai des pizzas et des sandwichs fourrés).

Comme les armées de l'ancien régime, j'aurai refusé l'engagement dévastateur afin de manoeuvrer en souplesse. Et ceci me permettra de conquérir une nouvelle contrée, de capter des clients supplémentaires. Or, cette manière d'évoquer la guerre commerciale a son importance. Elle démasque en effet, une pernicieuse propagande. Car, si l'on écoute les hérauts de l'économie capitaliste, nos entreprises vivraient aujourd'hui une terrifiante épopée.
Les firmes se débattraient dans une véritable lutte à mort. Parce que la concurrence agirait en barbare, taillant en pièce qui viendrait à baisser sa garde. Alors, acculées, le dos au mur de la rentabilité, les entités commerciales n'auraient pas d'autre choix que d'exterminer ou périr.

Considérer l'adversaire tel un monstre qu'il convient d'éliminer, relève de la croisade. De fait, la férocité surgit quand l'idéologie devient motivation première. Elle pervertit alors le champ de bataille. Et, pour ceux qui pensent autrement, il ne sera fait aucun quartier. Il faut les anéantir, pour éviter que le mal progresse, que l'hérésie se répande.
Or, nulle haine ne sous-tend le commerce. L'objectif ne consiste aucunement à casser du concurrent , mais à réaliser un maximum de profit.
En réalité, harangues guerrières et alarmes catastrophistes ont pour unique but d'occulter une odieuse agression. Non pas celle que pratique l'un ou l'autre pays commercialement vindicatif. Mais bien cette attaque orchestrée par une minorité fortunée. Un petit groupe avide qui, grâce à ses millions de mercenaires, organise un authentique conflit économique planétaire. Et celui-ci se déroule au détriment des peuples.

Un cessez-le-feu providentiel

Le long combat des riches contre les moins nantis, connut un répit durant trois décennies. Les années 1950, 60, 70 en effet, se distinguèrent par une importante réduction des inégalités. Il faut dire que cette époque bénéficiait de circonstances exceptionnelles...

Après une seconde guerre mondiale particulièrement dévastatrice, il fallait reconstruire habitats et infrastructures. Ce qui procurait du travail à tous. De sorte que plein emploi et rareté des compétences conféraient une certaine indépendance aux travailleurs, rendaient les patrons plus conciliants.
L'Europe occidentale découvrait ensuite le « rêve américain ». Lequel proposait moult voitures, frigos, aspirateurs, machines à laver, téléviseurs,... Et la forte natalité de l'après-guerre fournissait bientôt au commerce des foules de consommateurs avides.
Avec une croissance économique continue, les salaires ne cessaient de progresser. Mais lorsque cette hausse salariale détériorait la compétitivité des entreprises, le pays dévaluait sa monnaie pour relancer ses exportations. Enfin, des droits de douane ciblés freinaient la concurrence de produits importés.

En ce temps-là, seuls quelques compétiteurs entraient en lice. La rivalité commerciale se limitait à quelques nations industrielles, le reste de la planète étant trop pauvre ou trop marxiste, pour participer à la joute. Cette poignée d'élus se disputaient donc des territoires commerciaux restreints, mais « à la loyale ». Car tous affichaient des fiscalités, salaires et avantages sociaux quasi similaires. Ce qui limitait les affrontements perfides, les dumping.
Pour maintenir cette effervescence affairiste, il fallait de l'énergie à bas prix. Alors, pendant trente ans, le pétrole bon marché alimenterait l'opulence. En échange, les pays producteurs réclamaient la protection de l'Occident contre tout ennemi potentiel.

On ne dira jamais assez, combien la peur du communisme favorisa les avancées sociales. Car le danger semblait réel. L'armée rouge avait massé jusqu'à 40.000 chars le long du rideau de fer. Et, chez nous, les partis communistes locaux rassemblaient parfois un quart des électeurs. En conséquence, assurer le maximum de bien-être encourageait le soutien au système capitaliste, déjouait la tentation égalitaire. C'est pourquoi le rôle de l'État-Providence s'avérait prépondérant.

Il fallait d'abord assurer un minimum d'égalité devant l'impôt. Aussi, ce dernier était-il progressif. De sorte que, dans certains pays européens, les tranches élevées des hauts revenus se ponctionnaient jusqu'à plus de 90%. Quant aux sociétés, leurs contributions dépassaient généralement les 40%.
Bien que modérée, la fiscalité indirecte contribuait également à enrichir les États. Et parce que ne manquant pas de liquidités, ceux-ci commanditaient de grands travaux lorsque la récession menaçait, engageaient des fonctionnaires en surnombre quand le chômage risquait de croître.

Pour conserver l'argent au pays, les bénéfices des multinationales ne pouvaient s'exporter. En outre, crédits, investissements, flux financiers se voyaient sévèrement contrôlés. Et, grâce à ses parastataux et collectivités, l'organisation étatique disposait de banques, caisses d'épargne, officines de prêts. Ce qui permettait de collecter des fonds, de financer avantageusement les emprunts des entreprises et des particuliers.
Le secteur public investissait également, voire monopolisait, des domaines jugés vitaux: électricité, eau, gaz, armes, compagnie d'assurance, transport aérien, trains, bus, téléphone, poste, ... L'État maîtrisait donc la vie économique nationale, afin de pacifier sa population.

Au début des années 1980, la fortune des plus riches commençait à péricliter. L'inflation galopante dépréciait les pécules. Quant aux intérêts sur l'argent prêté, ils ne compensaient plus le coût grandissant de la vie. De plus, la croissance anémique du moment rapetissait tout dividende. D'autant que l'instabilité des monnaies rendait maints investissements hasardeux. Et pour comble, le fisc devenait par trop inquisiteur.
Banques, multinationales, assurances, spéculateurs, fonds de pension, décidèrent alors de réagir. L'attaque partit des USA pour, peu à peu, ravager le monde dit libre.

Après la trêve, la débâcle

Les détenteurs de gros capitaux avaient bien choisi le moment de leur offensive. L'empire soviétique en effet, déclinait maintenant à grande vitesse. D'abord, cette guerre désastreuse des Russes en Afghanistan accaparait d'énormes moyens. Ensuite, la course aux armements, initiée par les Américains, plombait une économie déjà très mal en point.
Transfuges et dissidents le confirmaient publiquement: pénuries alimentaires, répression policière, désespoir des populations, minaient les pays du Pacte de Varsovie.
Une comparaison avec la société occidentale était inévitable. Aussi, le communisme séduisait-il de moins en moins.

Face à son adversaire, le capitalisme se posait en vertueux défenseur de la liberté. Cette dernière intégrait la souveraineté de l'individu, mais aussi celle du commerce. Pour le Tout-au- Marché, hommes libres et abondance se voyaient indissociablement liés.
La faillite du camp socialiste, renouvelait l'idéologie mercantile. Désormais, à l'Est comme à l'Ouest, le « Mal » découlait des diktats imposés par l'État. Et ses immixtions arbitraires, son inefficacité, sa gabegie, provoquaient aujourd'hui une récession économique mondiale.
La propagande soutenant le retour en force des riches, se résumait aisément: il faut laisser faire le Marché, et supprimer toute entrave étatique, afin de restaurer la prospérité générale.

L'assaut contre le secteur public, se déroula bien mieux que prévu. Car, dès les années 1990, le communisme volait en éclats. Dans presque tous les pays, cet effondrement emportait alors les dernières réticences du monde politique. Se rangeant aux côtés du vainqueur, politiciens de droite comme de gauche se feraient dorénavant les complices de la finance apatride.

En premier lieu, on dépouilla l'État de toute activité éminemment rentable. De sorte que maints services parastataux se transformèrent en véritables pépites commerciales.
Transports, eau, électricité, poste, téléphone, caisses d'épargne, assurances, organismes de crédit ,... devaient se vendre au plus offrant. Cependant, ils furent parfois cédés à vil prix. Mais, d'une façon ou d'une autre, ces biens appartenant à la collectivité tombèrent sans mal dans l'escarcelle des actionnaires.

La privatisation tous azimuts, s'étendit également à ce qui ne rapportait guère dans l'immédiat. Dès lors, pour tirer quelque bénéfice d'une ex-entreprise publique peu lucrative, le privé se devait d'en réduire les « coûts ». Soit restreindre le nombre des travailleurs, démanteler leur statut de fonctionnaire, engager sous-traitants et intérimaires, introduire un management stimulant la productivité,... Or, ceci ne pouvait s'accomplir sans moult remous sociaux.
La solution passait par un partenariat avec l'État. Grâce à ses relais et son autorité, le pouvoir politique imposerait le changement, contiendrait l'action des syndicats. Foisonnèrent donc ces sociétés hybrides, pour le plus grand profit du Capital.

La forte réduction des impôts constituait une autre priorité. Alors, cette ponction visant les hauts salaires, les patrimoines, les plus-values, les entreprises, diminua de façon drastique. Pour un pays, pareille perte de revenus augmentait les charges pesant sur sa population. Aussi, pour justifier une telle injustice, jaillit un argument répété à l'infini. Ces sommes soustraites à la rapacité du fisc profiteraient à tous. Elles permettraient l'investissement qui stimule la croissance. Ce qui favoriserait la prospérité générale.
Or, investir se réalise s'il y a promesse de gains substantiels. Et quand les fonds manquent, l'emprunt y remédie. La motivation de tout investisseur, c'est donc « l'argent espéré » et non pas « l'argent disponible ».
En réalité, ces cadeaux fiscaux ne participent guère à l'expansion du commerce. Parce que leur accumulation les conduit immanquablement vers la spéculation. De sorte que celle-ci, aujourd'hui, draine 90% des flux financiers.
Mais pareil contexte, qui repose sur un mensonge, menace le bien-être de tous...

Miser sans le garde-fou étatique de naguère, provoque le gonflement de l'une ou l'autre bulle spéculative; laquelle finit toujours par éclater. Et si les organismes-joueurs sont de grande taille, le système tout entier vacille. Les multiples agents impliqués perdent leurs avoirs, les liquidités se font rares, le crédit s'atrophie, les faillites se succèdent, le chômage explose, ....
En 2008, semblable catastrophe fut endiguée grâce à l'intervention des États. L'argent des contribuables renfloua les institutions bancaires, évitant ainsi leur disparition.
Pareil sauvetage, couplé avec l'importante réduction des impôts, creusait considérablement la dette publique. En conséquence, cette dernière se finançait par des emprunts massifs. Et, pour obtenir un taux d'intérêt raisonnable, les États devaient à présent prouver leur solvabilité... à celles qu'ils venaient de sauver!
Dans ce but, des agences de notation distribueraient leurs bons points aux économies nationales jugées « compétitives ». Mais ces mouchards sanctionneraient par de mauvaises évaluations, tout gouvernement peu soucieux du « fait concurrentiel ». C'est-à-dire, refusant d'appliquer une politique d'austérité, ménageant par trop ses citoyens.
En définitive, la population avait beaucoup donné pour la sauvegarde des banques, leur payait désormais des intérêts sur les prêts qu'elles daignaient accorder au pays, se voyait rançonnée par le biais d'avantages sociaux et salaires compressés.

Déposer de l'argent sur un livret d'épargne, au lieu de l'investir en Bourse, modère fatalement la hausse des actions. De plus, ce pécule ne se dissipe pas en achats, ne profite nullement à l'activité commerciale. Aussi, ce viatique en léthargie suscite bien des convoitises.
Comme il fallait s'y attendre, cette thésaurisation surgirait dans le problème posé aujourd'hui au monde financier. Car on ne peut plus faire appel aux États pour contrer un nouveau désastre. À cause de l'endettement public colossal, une banque qui viendrait à sombrer n'obtiendrait aucune aide. Le secours doit maintenant venir d'ailleurs, afin que perdure la spéculation sans risque. Alors, avançant comme toujours sous le masque des institutions, les nantis vont s'attaquer à la propriété des épargnants.
Dans cette optique, la directive européenne « BRRD » permet aux banques en difficulté d'accaparer les économies de leurs clients. Obligatoirement transcrit dans les législations des 27 États membres, le principe du vol se voit dès à présent approuvé par la loi.
Certes, nos dirigeants tiennent à nous rassurer: en cas de malheur, ils rembourseront tout le monde (seuls les dépôts de plus de 100.000 euros échappent à cette « garantie »). Sauf que l'on se demande, avec quel argent ces beaux-parleurs parviendraient-ils à tenir leurs promesses !?
Dorénavant, et après « l'impôt des petits », il appartiendra à « l'épargne des petits » de combler les pertes des individus les plus riches, d'apurer les paris perdus de l'économie-casino.

La guerre totale est déclarée

En 1776, était proclamée la déclaration d'indépendance des actuels U.S.A. Or, parmi les pères fondateurs de la nouvelle nation, se trouvaient des hommes possédant maints esclaves. Dès lors, ce texte constitutif ne ferait pas de la liberté un idéal absolu. La souveraineté des personnes, se verrait donc encadrée par deux autres grands principes: droit à la vie et recherche du bonheur.
Au fil du temps, cette dernière notion allait acquérir de plus en plus de place dans les mentalités. Dorénavant, la libre disposition de soi-même se focaliserait sur le domaine privé. Avec pour résultat, d'isoler complètement les individus. Ceci découragerait bien des mouvements collectifs, éliminerait discrètement toute participation aux affaires publiques.
À partir de là, les yeux rivés sur son confort, sa position sociale, ses divertissements, le consommateur moderne dédaignera les combats politiques citoyens. Incapable d'envisager la moindre opposition, il se complaira dans l'impuissance, se conformera aux normes dictées par le pouvoir.
En 1992, le Traité de Maastricht s'alignait dans ce sens. Aussi, dans le premier article de la Constitution européenne, figurait cet objectif: le bien-être.

Parce qu'insoucieux d'un destin commun, indifférents au débat d'idées, imperméables aux enjeux sociétaux, les Européens s'abandonnaient à l'utilitarisme anglo-saxon. Ce faisant, ils s'enrôlaient au service des maîtres de l'économie mondiale. Alors, ceux-ci les lanceraient dans un conflit de grande ampleur.

Supprimer toute barrière douanière au sein du vieux continent, c'est mettre en compétition des économies disparates, des fiscalités, rémunérations et protections sociales inégales. De surcroît, les droits d'entrée aux portes de l'Europe ont été considérablement réduits. En conséquence, la main-d'oeuvre de l'Union se trouve maintenant en complète rivalité avec les travailleurs du monde entier. De sorte que tous bataillent ferme dans une guerre économique, à la fois totale et sans fin.

Cette version apocalyptique du commerce, permet aux caciques trônant dans les conseils d'administration de se poser en preux. Associer ainsi la loi de la jungle au monde des affaires, les autorise à se parer des plus nobles vertus. Le « goût du risque », « le sens des responsabilités », ne seraient pas les moindres. Ce qui leur fait déplorer ce manque d' « esprit de corps » qui devrait régner parmi les salariés. Quand, dans une entreprise, le personnel se met en grève, il déforce de la sorte son propre camp, il agit dans l'intérêt de ceux « d'en face ».
Mais, cette loyauté que l'on réclame aux uns, comment peut-elle s'accorder à l'infamie des autres? En temps de guerre, ne juge-t-on point déshonorants des comportements tels que la fuite, la trahison?

Une firme prospère qui refuse le combat, délocalise ses activités. Elle abandonne un champ de bataille jugé trop dangereux, se sauve devant les risques encourus. Et, le plus souvent, il s'agit-là d'une pitoyable débandade. On ne saurait parler de repli stratégique quand, pour assurer la mise en lieu sûr du butin, toute une armée est sacrifiée en arrière-garde.
Bien pire, il arrive que l'état-major et les actionnaires d'un groupe commercial, se vendent au plus offrant. En vils mercenaires, ils passent avec armes et bagages dans le camp adverse. Cette collaboration avec l'ennemi se baptisera pudiquement « fusion » ou « rachat ». En fait, le consortium ainsi acquis sera littéralement dépecé. Les meilleures parts de ce gâteau se verront absorbées, les restes fourniront un juteux bénéfice dès revente. Mais, là encore, la félonie des chefs s'accompagnera d'inéluctables licenciements de masse.

Justifier pareilles forfaitures, se fait de deux manières. D'abord, par l'âpreté des affrontements commerciaux actuels. Or ceux-ci n'auraient été désirés par personne. Aussi, pour survivre à cette tourmente décidée par un funeste destin, les générosités d'autrefois ne seraient plus de mise.
Ensuite, les exodes ne découleraient pas de l'incompétence ou de la voracité des supérieurs, mais bien de travailleurs par trop capricieux. Ici, le haut commandement excuse tous les abandons en s'en prenant à ses propres troupes!

Imagine-t-on un maréchal empanaché reprochant à ses fantassins de brûler trop de cartouches, d'user trop de chaussures, d'engloutir trop de nourriture!? En outre, cet officier se perdrait en louanges sur les combattants d'un pays misérable; lesquels chargent à l'arme blanche, combattent pieds nus, se contentent d'un bol de riz quotidien! Puis, pour faire bonne mesure, il accuserait son intendance de s'esquiver honteusement, les blessés de se complaire à l'infirmerie, les démobilisés de ne pas se réengager avec fougue!

Tels se comportent pourtant nos modernes capitaines d'industrie. La gourmandise salariale des subordonnés, disent-ils, rend nos produits beaucoup trop chers, nous empêche de guerroyer avec succès. Et, dans la foulée, s'ensuit une dénonciation de ces « planqués » qui ponctionnent le monde productif: fonctionnaires, malades imaginaires, chômeurs.
Ainsi pleurnichent les cupides des sagas mercantiles, lorsqu'ils se déguisent en paladins de la prospérité. Mais l'ascétisme prôné de la sorte, ne s'adresse qu'aux autres. Car ceux-là se goinfrent en cumulant rémunérations scandaleuses, bonus indécents, stock-options pléthoriques, parachutes dorés.
Déjà, grâce à leurs réseaux, ils se sont arrangés pour éradiquer toute « désertion devant l'ennemi ». Les pays européens en effet, ne peuvent plus se soustraire à la concurrence internationale en dévaluant leurs monnaies respectives. A présent, l'euro, cette rigide devise communautaire, supprime toute échappatoire. Et, impose donc ces restrictions voulues par les chantres d'un capitalisme pur et dur. Aussi, rester compétitif se fait en détruisant, peu à peu, tous les acquis sociaux de la population.

Cet intégrisme économique, falsifie la réalité. Selon ses désastreuses théories, une certaine frugalité sociale permettrait les exportations victorieuses. Mais à quoi servent tant de sacrifices, quand chaque pays réduit, lui aussi, ses « coûts »!? Qui gagne lorsque tous adoptent cette même stratégie simpliste!?
De plus, grappiller de la sorte quelques avancées à l'étranger, déconstruit à coup sûr le marché intérieur. Si nombre de particuliers disposent de beaucoup moins d'argent, leurs achats diminuent, le commerce de proximité décline, les recettes fiscales se tassent, le chômage se répand.
En réalité, l'austérité comme panacée appauvrit le grand nombre, mais elle enrichit les « brasseurs d'affaires ». Dès lors, cette « crise » dont on nous rebat les oreilles, résulte bien d'une tactique préméditée, et ne provient nullement des oukases prescrits par la fatalité.

Le Transhumanisme en renfort

On attribue bien des succès à l'économie mondialisée d'aujourd'hui. Au niveau planétaire en effet, la pauvreté générale a régressé, l'espérance de vie s'est allongée, l'analphabétisme recule.
Cependant, ces bienfaits récents se concentrent dans les pays du Sud dotés d'un fort encadrement étatique. Là-bas, le capitalisme doit allégeance à l'État. Ce dernier contrôle encore la vie économique et ce, parfois, de manière rigoureuse. C'est ainsi que la Chine fusille, chaque année, des dizaines de gens condamnés pour corruption.
En réalité, ces nations « émergentes » suivent le chemin emprunté par l'Occident après la deuxième guerre mondiale. Mais, hélas, il s'agit ici de la même parenthèse merveilleuse. Car demain, dans cette partie du monde, pourrait se déployer un semblable regret des « belles années ». De fait, les inégalités croissantes et l'emprise graduelle de l'argent, semblent raviver un dénuement que l'on espérait à jamais vaincu.

L'Europe quant à elle, ne se souvient plus guère de l'heureux intermède de ses « trente glorieuses ». À présent, cette classe moyenne qui compose l'essentiel de sa population, se démène pour durer.
À l'heure actuelle, l'implication totale que requiert le travail, la durée prolongée de celui-ci, son obligatoire recyclage permanent, s'imposent à qui veut conserver son emploi. Et, c'est à deux qu'il faut déployer les efforts incessants. Parce que l'apport monétaire du conjoint ne constitue plus un luxe, mais bien le complément indispensable pour « nouer les deux bouts ». D'autant que l'on achète, se loge, circule, grâce à des crédits de plus en plus lourds.
Mais l'importation d'objets bon marché, fabriqués par les plus miséreux de la planète, permet toujours de consommer à foison; et... de se croire encore riche.

Les conditions d'existence ne vont s'adoucir pour personne. Car le plan de bataille de la finance internationale, consiste à déloger les États de positions apparemment inexpugnables.
La collecte des impôts, la surveillance propre à la qualité de la vie ou à l'organisation du travail, l'éducation, la police, les prisons, l'armée, ... deviennent ainsi des cibles visées par la privatisation. Dès lors, sous la pression des intérêts particuliers et sans contrôles impartiaux à tous les échelons, pulluleront rapines admises ou illicites. Il faudra payer cher pour voyager plus rapidement, pour apprendre, se protéger, faire valoir ses droits de citoyen, ... Ce qui multipliera les passe-droits monnayables, les concussions endémiques, les mafias en tous genres, les médias aux ordres, les élections orientées, les non-solvables clochardisés.

Remplacer les allocations d'entraide dispensées par l'État par des services marchands, s'avère offensive particulièrement hasardeuse. Vouloir privatiser la sécurité sociale, c'est attaquer un bastion farouchement défendu. Dès lors, la manoeuvre adéquate sera d'affaiblir la pugnacité de ceux qui protègent encore ce domaine public, déjà fort mal en point. Et ceci ne peut réussir sans l'adhésion du grand nombre.
Le rôle de la propagande transhumaniste, sera de convaincre ces alliés potentiels.

Le Transhumanisme magnifie les progrès réalisés dans le décryptage du génome humain. Pareilles avancées scientifiques seraient ainsi promesses de grande liberté, de complète égalité.
Or, révéler à chacun les détails de son patrimoine génétique, revient à prédire ses futures maladies. Par conséquent, un nombre considérable d'interventions médicales seront réclamées. Parce que ces traitements préventifs s'appliqueront à tous les adultes, à tous les enfants, aux embryons. Ce qui occasionnera maints débours onéreux à charge de l'assurance-santé.
Hélas, on n'en restera pas là. Les adeptes de la technoscience appliquée à l'homme, pousseront plus loin leur action propagandiste. Car ils n'encourageront pas seulement pareille guérison des organismes. Encore voudront-ils inciter chacun à galvaniser ses performances corporelles, à se vouloir « amélioré ».
À partir de là, toute assistance pécuniaire aux malades, telle qu'elle se pratique aujourd'hui, ne sera plus possible. Par manque de ressources, cette mission socialement indispensable quittera le giron du service public. Ainsi précipitée dans un autre contexte, elle se modulera d'après la loi des compagnies d'assurance, se transformera en produit lucratif.

Les idéologies qui prétendent multiplier les heureux, nécessitent notre méfiance. Car aussitôt mises en pratique, ces illusions ont toujours alimenté de grands malheurs. C'est pourquoi le Transhumanisme doit s'éclaircir, grâce à différents éclairages.
Certes, sa promesse de nous faire vivre beaucoup plus longtemps, voire éternellement, pourrait présager un futur serein. Mais, à la condition d'accueillir également l'accumulation des ennuis, deuils, frustrations colères, nostalgies, divorces, découragements, déceptions, revers, peurs, angoisses, regrets, remords, drames, accidents, agressions,... Et ce, pendant tout un siècle, ou deux, ou trois, ou...
Or, de ces épreuves inhérentes à la vie, les propagandistes du transhumain ne parlent aucunement. Ce qui les rend suspects, et nous autorisent à leur prêter des intentions nettement moins honorables. Rappelons-nous dès lors, que faire du corps des hommes une marchandise comme les autres, procurerait d'immenses profits à quelques-uns. Et que, parmi les bénéficiaires de cet alléchant pactole, se trouveraient ceux qui espèrent en finir avec l'État-providence.
Ajoutons encore, que l'actuel système des retraites par répartition, ne résisterait pas à cette longévité, à la fois générale et considérablement accrue. Il faudrait donc se tourner vers le secteur privé. Soit verser à celui-ci d'importantes sommes d'argent, pour assurer la quiétude de nos (très) vieux jours.

De par la novlangue néolibérale, solidarité devient un mot caduc. De fait, l'actuel système économique enferme chaque individu dans la recherche exclusive de son intérêt personnel. Et le discours transhumaniste fortifie un tel repli sur soi.
À l'entendre, gènes remaniés et cerveau informatisé offriront un avenir sans nuages à leurs heureux possesseurs. Par contre, ceux qui ne voudront pas amplifier leur héritage physiologique, deviendront ces perdants de la lutte de tous contre tous.
Après la technique supprimant de l'emploi, adviendra donc l'homme-machine excluant les « rétrogrades ». Ce qui légitimera d'autant, les éternelles diatribes patronales fustigeant « tous ces assistés qui coûtent cher ». A terme, pareils reproches aboutiront à la fin des allocations de chômage. Parce l'alibi justifiant cette régression, sera de taille. En ayant refusé le « progrès », les sans-travail ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes.
Vraisemblablement, l'écroulement de ce pilier majeur de la sécurité sociale se fera dans une indifférence quasi générale. Car aujourd'hui déjà, se construit un clivage. Le chacun-pour-soi, le labeur intensif, le surmenage quotidien, incitent tous les « méritants » à se dissocier radicalement des « paresseux ».
Mais c'est ainsi que l'on reconnaît les esclaves: ils raisonnent comme leurs maîtres.

Riposter

Frédéric II, roi de Prusse et « guerroyeur » à la perruque poudrée, disait: « Si mes soldats pensaient, ils ne resteraient pas dans les rangs ».
Bien que particulièrement cyniques et méprisantes, ces paroles d'autrefois conservent toute leur pertinence. Parce que réfléchir aujourd'hui, c'est découvrir ce 1% de la population planétaire accaparant plus de 50% des richesses mondialement produites. C'est aussi se rendre compte, que l'on nous veut parfaits petits combattants au service de cette mauvaise cause.
Dès lors, qui veut penser sa vie, doit logiquement envisager une «mutinerie».

Le raisonnement solitaire et la volonté de ne plus servir, constituent certes un premier pas. Cependant, la réflexion sans l'action ne bouscule guère l'ordre établi. D'autant que l'oppression mercantile, se nourrit des petites dissidences. Car celles-ci améliorent son image, lui confèrent une aura de vertueuse tolérance.
En réalité, l'omnipotence du Marché réussit grâce au principe « Diviser pour régner », mais appliqué de la plus extrême façon. L'obéissance aux normes sociales actuelles, exige en effet ce développement démesuré de l'arrivisme, du narcissisme, de l'égoïsme. Ce qui nous sépare tous les uns des autres.
Face à cette totale dégradation de la citoyenneté, riposter se fera par l'union, par le plus grand regroupement possible de tous les non!

Réclamer le retour en force de l'État, serait promouvoir un leurre supplémentaire. L'Histoire nous apprend que l'autorité publique se met toujours au service des puissants. Et, l'épouvantail communiste n'est plus là pour refréner les appétits.
La rébellion par les urnes, apparaît tout aussi problématique. Avec ce vote ponctuel des électeurs, tout bouge mais rien ne change. Au mieux, les élus politiques clament leur impuissance à clore le règne de l'argent. Au pire, ils se font les complices de celui-ci.
Quand on en arrive là, il reste la voie tracée par un certain « populisme ». Grâce à cette dernière option, le peuple peut enfin se créer un destin.

Lorsque l'adversaire dispose de forces considérables, il convient de l'affaiblir par un harcèlement continu. De petits groupes pratiquant la guérilla, ont fait plier des armées apparemment invincibles. La tactique sera donc d'attaquer sur tous les fronts, de batailler en citoyen responsable, de défendre l'intérêt général, d'alarmer la population.
Les affinités et tempéraments divers, détermineront sur quel terrain se déroulera la lutte. Mais déjà, s'organisent en petite unités, des résistants motivés par la démocratie participative, la nécessité des taxes écologiques, l'étude critique des accords économiques, la taxation des flux financiers, le refus de toute privatisation, l'allocation universelle, la justice fiscale, l'autogestion généralisée, les énergies renouvelables, la fin des paradis fiscaux, le commerce équitable, la diminution des dépenses militaires, la réduction drastique du temps de travail, le retour au local, la décroissance, l'opposition au Transhumanisme, le socialisme libertaire, ...

Si les hommes ne modifient pas en profondeur cette société cupide, alors une telle société modifiera intégralement les hommes. De sorte que les individus ainsi « rectifiés », deviendront de super-fantassins jetés dans une guerre économique bien plus dure encore. Et d'un pareil conflit, nous avons évidemment tout à craindre...

Gablou