Centre d'Étude du Futur

         L'hôtel Fairmont étale son grand luxe sur les hauteurs de San Francisco. Un cadre prestigieux, dans lequel se déroula, en septembre 1995, une conférence particulièrement discrète. Derrière ces murs, s'étaient rassemblées les 500 plus grandes sommités internationales, provenant d'horizons très divers.

Le monde politique se voyait largement représenté. Et quelques tribuns-vedettes tels Margaret Tatcher, George Bush père, Mikhaïl Gorbatchev, attiraient tous les regards. Mais la finance, la science, les multinationales, l'industrie, présentaient aussi nombre de célébrités.

Après une semaine d'intenses palabres et débats, ces gens qui déterminaient la marche du monde conclurent à l'unisson. Pour ces décideurs et spécialistes, le prochain siècle verrait la disparition de l'actuelle classe moyenne. Car la prospérité de celle-ci repose sur le travail, et ce dernier allait devenir de plus en plus rare, de moins en moins indispensable. Dans les années 2000, seuls 20% des humains seraient encore nécessaires à la bonne marche de l'économie mondiale!

            La mondialisation économique a permit l'émergence des pays à bas salaires du Sud de la planète. Mais aujourd'hui, en ces contrées lointaines, le prix de la main-d'œuvre a fortement augmenté. Et les frais de transport par mer deviennent, eux aussi, plus onéreux. En outre, les longs délais de livraison interdisent bien des ventes. On voit donc maintes entreprises de chez nous, jadis expatriées, rejoindre aujourd'hui leur pays d'origine.

Cependant, ce retour au bercail ne réduit pas le nombre des demandeurs d'emploi. Au contraire, ici comme partout ailleurs le chômage se répand. Car les travailleurs du monde entier ont maintenant un rival aux performances inégalables: la machine qui raisonne. 

 

            Travailler deviendra privilège. Car les postes encore maintenus se situeront dans un étroit créneau. C'est à dire là où l'intelligence artificielle ne parviendra pas à supplanter l'humain. Toutefois, les compétences indispensables pour exercer s'obtiendront grâce à l'ordinateur.

Depuis l'école primaire jusqu'à l'université, les leçons se dispenseront en ligne. L'élève apprendra seul, devant l'écran. Quant aux devoirs, tests, examens, ils seront immédiatement corrigés car livrés sous forme de QCM. Par ailleurs, l'identification de l'étudiant se fera par caméras particulièrement aptes à la reconnaissance faciale, rétinienne, manuelle.

En conséquence, les nombreux enseignants actuels deviendront superflus. 

 

            L'informatique permettra l'apprentissage des personnes, ainsi que celui des robots.  Dès lors, ceux-ci pourront – mais ils le font déjà dans maintes usines - nettoyer, ranger, trier, assembler, réparer, entretenir,... De même, ils n'auront pas leur pareil pour visser, clouer, coudre, affûter, forer,... car très rapides et précis. En réalité, il s'agit là de parfaits ouvriers. Parce que s'activant sans salaires, états d'âme, distractions, revendications, grèves, maladies, fatigues, enfantements. De surcroît, ils ignorent les congés, travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Désertés par les hommes, de tels ateliers fabriqueront des produits impeccables. Ces derniers seront alors acheminés vers la clientèle. Une livraison qui s'effectuera par des camions sans chauffeurs, des trains sans conducteurs, des drones appelés aussi « avions sans pilote ». Et, comme par contagion, disparaîtront aussi tous ceux qui conduisent les bus, cars, taxis, tramways, métros.

 

            Les marchandises ainsi véhiculées, se livreront surtout au domicile des particuliers. Car acheter s'effectuera par le biais d'Internet, et bien plus rarement en se rendant au magasin.

Avec pareille façon de faire, on accomplira toutes ses opérations bancaires, enverra son courrier, pratiquera la lecture, réservera un voyage. Les professions d'employé de banque, facteur, libraire, bibliothécaire, conseiller touristique, vendeur, n'ont de ce fait aucun avenir.

 

            Il faut ajouter à cela, l'automatisation appliquée aux rares supermarchés; laquelle supprimera toutes les caissières. Automatiques également, seront les appareils-distributeurs. Ils délivreront immédiatement certains produits spécifiques, tels les médicaments.

Mais la généralisation des imprimantes 3D bouleversera plus encore le commerce de détail. Car de petites officines pourront réaliser l'impression de quantités d'objets. Un tel procédé disposera une fine pâte composée de plastique, verre, céramique, particules métalliques, brique pilée, pierre concassée ou bois malléable. Et ces multiples couches de semblables matières s'ordonneront en vertu du logiciel retenu. Par après le tout durcira, jusqu'à donner forme définitive à des bibelots, outils, mobiliers, matériaux, pièces de mécanismes et d'ensembles divers.

 

           Cette technologie permettra de fabriquer chaque élément nécessaire à la construction d'une maison. Et celle-ci, panneaux après panneaux, pourra se monter en quelques jours. Cependant, on bâtira nettement moins. De fait, bien des magasins, agences, librairies, bibliothèques, pharmacies,... n'auront plus aucune utilité. Aussi, de telles pratiques comprimeront considérablement les effectifs. Peu nombreux donc, deviendront les maçons, peintres, charpentiers, couvreurs, carreleurs, électriciens, plombiers, menuisiers, chauffagistes, ...

Ne s'édifieront pas non plus, ces grands immeubles abritant le personnel de multiples bureaux. La technologie en effet, éliminera les habituels services administratifs, gestionnaires, comptables. D'autant que les compétences encore indispensables se situeront parfois à l'autre bout de la planète.  Travaux, réunions, conférences, se réaliseront grâce à des échanges directs par vidéos, sans souci des distances et langages employés. Car, pour se comprendre, de performants procédés techniques remplaceront interprètes et traducteurs.

 

            Certains métiers subiront une importante saignée, d'autres disparaîtront à tout jamais. Même les plus hautes qualifications, ne résisteront pas à ces gigantesques bases de données triées par algorithmes. Car aucun homme ne saurait mémoriser l'équivalent de nombreuses encyclopédies. Puis, de cet amas informationnel, en tirer immédiatement analyses, déductions, solutions. De sorte que diagnostics médicaux, études juridiques, comptes-rendus journalistiques, plans élaborés, calculs sophistiqués,... s'établiront sans médecins, juristes, journalistes, architectes, ingénieurs,...

En outre, couplé à la robotique, le big data autorisera des tâches particulièrement délicates, telles les interventions chirurgicales.

Il convient de s'en rendre compte: dans les années à venir, et au niveau mondial, la machine éliminera les emplois par dizaines de millions.

 

            Jusqu'à présent, l'innovation technologique avait toujours profité au marché du travail. Ainsi, lorsque survenait une invention majeure, bien des activités devenaient aussitôt obsolètes. Cependant, ce qui semblait catastrophique dans l'immédiat se révélait bénéfique par la suite. Car les gains de productivité obtenus, comme les nouveaux besoins insufflés, suscitaient maintes créations d'emplois. En sorte que pareil processus avantageux s'était vu théorisé par l'économiste Schumpeter, sous le nom de « destruction créatrice ».

Malheureusement, cette règle ancienne ne s'accorde plus aux temps présents. Parce que, aujourd'hui, le progrès s'évertue d'abord à remplacer l'humain.

 

                                         Pain gratuit et jeux virtuels

 

            Bientôt le pouvoir n'aura quasiment plus besoin de travailleurs, ni de soldats. Quant aux consommateurs, ils seront certes beaucoup moins nombreux mais rapporteront davantage. Comme autrefois, le commerce s'orientera vers la vente d'objets et services de grand luxe destinés à la minorité solvable. Ce qui devrait représenter de par le monde un milliard environ de clients potentiels.  

Ces constats avaient été parfaitement assimilés, voilà plus de 20 ans, par les grands décideurs réunis à l'hôtel Fairmont de San Francisco. Pour ceux-ci en effet, dans un avenir proche, seuls deux dixièmes de l'humanité leur seraient encore nécessaires. Dès lors, se posait un problème: comment éviter la révolte d'une population largement majoritaire et bientôt sans ressources ?

Ce fut un ancien conseiller à la Maison Blanche, qui énonça la meilleure solution. Et sa réponse tenait en un mot: « Tittytainment ». Soit une contraction langagière, réunissant deux concepts. Lesquels se traduiraient en français par « allaitement » et « divertissement ». Mais, dans cet esprit, on pourrait donner la préférence à cette formule autrement évocatrice: du pain et des jeux.

 

            Puisque le grand nombre ne parviendra plus à gagner son pain quotidien, l'ordre établi se maintiendra si l'on accorde à tous les moyens d'existence nécessaires. Cependant, dans nos pays industrialisés, la sécurité sociale protège encore les citoyens. Dès lors, cette allocation universelle que l'on a proposée aux Suisses arrive un peu tôt pour séduire.

Évidemment, recevoir chaque mois une rente de 2.260 €uros, ferait le bonheur du monde entier. Partout donc, sauf au pays des Helvètes. Car, là-bas, avec ce seul revenu, on ne dépasserait guère l'actuel seuil de pauvreté. Et salaires, allocations de chômage, pensions de retraite, indemnités-maladie,... s'avèrent, pour le moment, nettement plus profitables.

En réalité, accepter pareille aumône aura lieu quand la plupart se retrouveront chroniquement sans le sou, dans le besoin, aux abois. Alors, la tactique sera de contrer une trop grande misère, certes, mais après avoir multiplié sciemment les désœuvrés, les pauvres, les assistés. 

 

            Le revenu universel offert aujourd'hui se présente comme appât, ersatz, escroquerie. Malgré cela, certains veulent croire à cette forme pervertie du don. Or beaucoup de ces adhérents se recrutent parmi des jeunes retirés de la vie ordinaire.

Cet isolement juvénile se révèle attrayant lorsque le psychisme s'imprègne d'illusions. Croire ainsi que l'on compte nombre d'amis fidèles, s'avère soutien rassurant.

Aujourd'hui, cet entourage pseudo-affectif se manifeste avant tout par le biais du smartphone. Or ce sont seulement des voix qui s'adressent à l'utilisateur. Elles prennent des nouvelles de son chat,  s'intéressent à ses dernières lunettes. En retour, cette apparente sollicitude exige de rendre la pareille, d'accorder semblables attentions puériles. S'installe alors une dépendance réciproque à  tout message anodin. Soit une obsession: surtout ne rater aucune information, aussi futile soit-elle. De sorte que, prisonnier d'une téléphonie frénétique, l'usager s'accroche à son portable tel le naufragé à sa planche de salut.

 

            Internet amplifie l'accoutumance à ces échanges superficiels. De plus, il permet un regroupement par « tribus ». Des gens géographiquement dispersés, mais rassemblés devant leurs écrans grâce à des centres d'intérêt communs.

Outre ce compagnonnage addictif, une connexion au cyberespace quasi permanente procure des stimuli en pagaille. Informations sensationnelles, accidents spectaculaires, cruautés bouleversantes, grossièretés cocasses, pornographie débridée, potins vaudevillesques, ... bombardent le cerveau, lui infligent une excitation quotidienne, le laisse sans répit.

Face à cette intensité fabriquée par l'image, le réel se présente de bien terne façon. Quant à la présence physique des autres, elle occasionne inévitablement déceptions, rivalités, incompréhensions, angoisses, tensions, injustices,... Dès lors, s'ajuster à l'environnement extérieur  devient problématique. L'adaptation en effet, demande diverses stratégies, réclame une bonne dose d'empathie, exige maints efforts qui désormais paraissent totalement vains.

Dans ces conditions, et comme l'enfant qui joue, le captif de l'espace virtuel préfère l'artifice à la réalité.

 

            Le monde anglo-saxon appelle Neets les adolescents en rupture qui dédaignent à la fois école et travail. Dans nos pays industrialisés, le phénomène concerne jusqu'à 17% d'une population âgée de 15 à 29 ans. A elles deux, France et Italie totalisent déjà 4 millions de pareils jeunes socialement largués. Hélas, le nombre de ceux-ci ne cesse d'augmenter. Et leur farouche retrait risque bien de les précipiter dans une misanthropie maladive.

Les Japonais les nomment Hikkimoris. Ainsi désigne-t-on, au pays du soleil levant, ces ados et adultes refusant tout contact. Des reclus volontaires, ne quittant jamais leur chambre, dont ils n'entr'ouvrent la porte que pour manger. Le plateau de nourriture constituant alors, l'unique lien avec l'extérieur, la seule relation avec des parents tout à fait désespérés. Et pareils cas de claustration délibérée approchent le million. Il s'agit là d'une véritable épidémie car le mal se propage bien au-delà de l'archipel nippon.

De toute évidence, Neets et Hikkimoris se blottissent dans une réalité qui leur est propre. Seule manque la certitude d'obtenir régulièrement du pain. Et, pour remédier à cette crainte, ils se contenteraient volontiers d'allocations au rabais. De sorte que s'écoulerait durablement une existence sans aspérités, que se perpétuerait un univers au sein duquel les jeux prennent toute la place. 

 

                                               Transhumanisme et vassalité

           

            La métamorphose continue des jeunes en auditeurs-spectateurs compulsifs, relègue ceux-ci dans une pensée sans profondeur. Submergés par un flot incessant de données, ils ne peuvent distinguer l'essentiel du dérisoire. Ce qui étouffe leur esprit critique, accroît la passivité générale, pénalise toute remise en cause du système. Ce nouvel opium du peuple détériore donc cette vigilance protégeant le régime démocratique. Et certains vont tâcher d'en profiter...

 

            Selon l'utopie transhumaniste, absolument tous les humains bénéficieront des avancées biotechnologiques. Que ce soit au coeur de la forêt amazonienne ou parmi les brousses africaines, personne ne sera oublié, chaque homme aura la possibilité d'amplifier son potentiel!

Or, pareil programme défie le sens commun. En outre, qui peut admettre une telle fadaise sachant que l'on ne parvient toujours pas à nourrir et soigner une grande part de l'Humanité !? Comment alors réaliser avec succès cette « amélioration » de toute la population mondiale !?

En réalité, semblable argument égalitaire a pour unique but d'amadouer le grand public. Soit une tactique propre à faire voter des lois favorables aux mutants, et affaiblir toute résistance aux projets visant à dénaturer notre espèce.

Plus vraisemblable dès lors, apparaît le dessein susceptible de renforcer les puissants. Dans ce cas, seuls des gens aisés remanieront leurs gènes tout en se payant un cerveau électroniquement sur-dimensionné. Et, avec la classe moyenne bientôt disparue, c'est bien à l'avantage exclusif des possédants que  s'échafaude cette « augmentation qualitative ».

 

            Dans un proche avenir, et sauf bouleversements majeurs toujours possibles, deux variétés d'individus devraient suivre des chemins divergents. D'abord, grandirait la foule des apathiques, financièrement secourus ainsi que totalement immergés dans un monde factice. D'autre part une minorité de nantis, de plus en plus modifiés, qui en viendraient à effacer toute ressemblance avec l'Homo sapiens actuel.

Inévitablement, cette humanité à deux vitesses creuserait plus encore le fossé entre dominants et dominés. Dans ce cas, la présente démocratie n'y survivrait pas. Et, notre futur s'organiserait comme autrefois, se régenterait selon les mêmes hiérarchies, celles des siècles absolutistes.

                       

            Il y aurait ce probable retour des asservissement anciens. Or, pareil danger ne provient nullement de quelque grand complot liberticide. En réalité, notre ennemi est une logique. Dynamisée par l'implacable recherche du profit et la pression concurrentielle, elle se targue de la plus froide rationalité, se veut efficace, rentable.

De nos jours, le modèle qui prévaut correspond au fonctionnement rigoureux de la machine. En finale, ceci nous reconduit vers la féodalité, définie cette fois par son avatar technologique.

Les nobles de naguère s'estimaient « biologiquement supérieur ». Et, avaient réussi à inoculer cette croyance à leurs serfs. Alors, il fallut 1.000 ans afin que se généralise la lucidité favorisant une révolution. On peut donc imaginer combien solide deviendrait le pouvoir féodal des cyborgs. Pour le commun des mortels en effet, ces êtres bioniques sembleraient à coup sûr « réellement insurpassables ».

Pour l'heure, la révolte contre cette vassalité prochaine paraît déjà fort compromise. Car bien loin de renverser la société mercantile, l'allocation universelle, telle qu'envisagée, se révèle sa meilleure alliée. De fait, recevoir sans jamais pouvoir rendre, à la longue infériorise les personnes, leur inflige une humiliation permanente, facilite la soumission.

 

            Le projet d'établir une économie reposant sur le don et sa réciprocité devrait nous animer. Une autre société, mieux adaptée à notre humanité, pourrait ainsi voir le jour.  

De toute évidence, il faudrait procéder au partage du travail disponible et réaliser l'équitable répartition des richesses. Néanmoins, cette solution séduisante nécessite la plus grande prudence. De par leurs échecs répétés, les économies collectivistes du XXème siècle ne peuvent en effet nous fournir un modèle.

En réalité, considérer l'homme à travers le prisme de sa seule dimension économique a constitué une erreur funeste. C'est la Nature qui doit à présent nous guider. Et, plus précisément, cette théorie de Darwin démontrant l'irrésistible évolution des espèces. Or, dans cette ascension, deux grandes forces sont à l'oeuvre pour aller de l'avant: la dominance et l'entraide.

                                      

                                      Évoluer grâce à l'harmonie

 

            Au cours de ces dernières années, la pauvreté dans le monde a fortement reculé. Sur l'ensemble de la planète, et de manière générale, le bien-être semble effectivement progresser.

Le problème, c'est que cette prospérité récente se trouve en équilibre instable car reposant sur une montagne de dettes. Malgré cela, pour maintenir l'abondance, États, entreprises, particuliers ont de plus en plus recours à l'emprunt. Or, tôt ou tard, il faudra rembourser...

L'amplification continue de cette vie à crédit, ne se cantonne pas au seul domaine économique. Car nous exigeons de notre biotope qu'il dispense des largesses allant crescendo. Mais la Terre ne peut satisfaire les désirs à l'infini. En conséquence, répudier nos boulimies devient attitude obligée. Sans quoi, les générations futures ne pourront jamais acquitter la calamiteuse facture écologique que nous leur laisserons. Et ceci constitue un risque mortel pour les populations à venir.

 

            Persévérer dans une telle course vers l'abîme serait folie. En conséquence le renversement de nos façons de faire, et de voir, s'avère crucial. Un virage difficile à négocier, d'autant qu'il débouche sur un choix décisif: identifier le chemin fiable.

Au fil des siècles, les hommes se sont abondamment fourvoyés, se sont engouffrés dans nombre d'impasses propices au malheur. On se perd à compter ces multiples systèmes politiques, économiques ou religieux, mortifères car bâtis sur la guerre, l'injustice, l'intolérance. Trop souvent en effet, détruire la vie devient un devoir quand on détient « la vérité ».

 

            La nature par contre, ne montre certes aucune bienveillance mais ignore toute manipulation des foules. Elle ne prétend nullement donner du sens aux existences afin de mieux tyranniser. De ce fait, elle  méconnaît ces cruautés gratuites qui caractérisent tant les humains.

Pour s'orienter autrement, les processus naturels paraissent plus sûrs que n'importe quelle construction idéologique. D'ailleurs, nous sommes ces descendants de millions d'êtres qui ont survécu dans des environnements impitoyables. Une performance inouïe, laquelle s'est déployée sur d'innombrables millénaires, a résisté à l'usure du temps.

L'évolution des espèces devrait donc nous inspirer. Celle-ci deviendrait alors promesse d'un avenir viable.

 

            Le don, comme organisation sociale, se rencontre chez les peuplades côtoyant de près la vie sauvage. Or, pareil échange entre les personnes se réalise lorsque ces dernières intériorisent la fusion de deux puissants instincts. Lesquels sont précisément ceux qui ont permis l'évolution, et l'avènement de l'humanité. Donner, recevoir, rendre, s'animent en effet quand la dominance se voit corrigée par l'entraide. Et lorsque celle-ci à son tour, se tempère grâce au zèle de celle-là.

S'associer en donnant convient à tous les milieux, à toutes les époques. Ce processus naturel s'exprime même aujourd'hui, machinalement, au gré des circonstances. Pourtant, les calculs boutiquiers de ce temps font le maximum afin d'éradiquer obligeance et gratuité. Mais rien ne saurait éliminer complètement ce qui relève de la réaction spontanée.

Profondément ancrées dans notre patrimoine génétique, il y a ces pulsions propulsives qui invitent à évoluer; pour autant qu'elles forment couple. Aussi, maintenant plus que jamais, il nous appartient de favoriser leur heureuse union.

 

            Tous les pouvoirs s'édifient sur un troupeau docile. Or, rejeter cette sociabilité moutonnière permet de s'anoblir. Le panache en effet, c'est refuser l'obéissance servile, c'est tracer sa propre voie en pensant par soi-même. Soit s'abstenir de toute facilité grégaire, afin d'atteindre l'émancipation individuelle. Et se vouloir de la sorte, un seigneur sans esclave, un souverain sans couronne, un dominant sans privilèges.

La vie favorise ceux qui s'adaptent aux situations difficiles. Lesquels ne sont pas toujours les plus forts. Souvent même, une petite mutation génétique surgissant par hasard procure un avantage capital. Mais infaillible apparaît le groupe bien soudé par l'entraide. Car ce dernier délivre à ses membres les compétences nécessaires pour survivre. Et plus l'égalité entre tous sera grande, mieux circuleront ces informations vitales.

Ce qui doit nous guider à présent, surgit avec évidence.

Bien plus proche du principe des vases communicants que de toute politique ordinaire, le projet anarchiste équilibre les deux forces essentielles. Car il marie un socialisme particulièrement généreux avec son individualisme aristocratique. Ce faisant, les anarchistes dépassent ces peuplades acquises au cérémonial du don; notamment, en préconisant celui-ci pour l'ensemble des hommes. D'où cet enthousiasme d'Élisée Reclus - ce grand savant d'autrefois - qui le poussait à s'écrier : « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre! »

 

            L'ordre suprême s'énonce Harmonie. Celle-ci naît de cette double impulsion qui corrige nos égos despotiques, tout en nous délivrant des communautés asphyxiantes. Et sa croissance autorise  bien des espoirs: harmonie au sein de la personne, harmonie des rapports humains, harmonie rapprochant tous les peuples, harmonie entre l'homme et la nature.

Hélas, nous n'en sommes pas là. Hélas encore, la disparition de l'espèce humaine n'est pas un spectacle de science-fiction écrit par des écologistes. Il s'agit malheureusement d'une tragédie bien réelle. Laquelle se crée dès aujourd'hui, par l'atribution de nombreux mauvais rôles. Mais, au lieu de modifier ce funeste scénario, certains prétendent transformer chaque figurant en comédien talentueux! Or implanter ainsi des puces dans le cerveau ou bricoler les gènes, ne ferait que précipiter le drame. Celui-ci verrait sa nocivité stimulée, et déboulerait à pleine vitesse vers un final d'apocalypse.

 

            En réalité, cette intrigue mortifère devrait s'activer moins rapidement. Car seuls quelques cyborgs seraient les acteurs-vedettes conduisant ce sombre programme. Cependant que le gros de la troupe subirait les caprices de ces cabotins tout-puissants. Aussi, baptiser « évolution » cette mise en scène délirante, relève autant du mensonge racoleur que de la mascarade.

Évoluer, c'est avancer vers le mieux, et non pas augmenter notre capacité à nuire. Ce qui plébiscite aussitôt l'existence harmonieuse. Soit le chemin idéal pour assurer un futur à toute la planète, la voie royale pour nous réconcilier avec tout ce qui vit.

                                                                                 

                                                                                     Gablou