Centre d'Étude du Futur

De la Postmodernité à la «  Société Liquide »

Avant-propos

Nous présentons ici divers “billets” d'Humeur, où la Colère, le Dépit et la Tristesse peuvent prendre le masque de la farce. De l’Humour aussi. Les virages, sans crier gare d’un plan de réalité à un autre, ordonnés par l’exercice choisi, à savoir de vision «kaléidoscopique », peuvent importuner certains lecteurs attachés à la présentation classique propre aux articles de réflexion. 

Rappelons qu’il s’agit ici simplement  de «  billets » d’Humeur; «Castigat ridendo mores » comme on le lisait sur la toile du Théâtre d’Arlequin.  "C’est par le rire que l’on corrige les mœurs".

Nous y embarquons également des vignettes d’Histoire contemporaine mettant en relief les changements intempestifs qui se succèdent aujourd’hui dans la vie courante et dans les médias et qui ne manquent pas de nous interpeller.

Face à des situations qui varient chaque jour, nous sommes amenés à jongler avec des évènements  d’intérêt tantôt planétaire, tantôt local qui émergent à un moment donné et qui par après,  s’écoulent aussi vite qu’ une vague chasse l’autre à la surface de ce que, il y a peu, l’on appelait «  la Société postmoderne » ou mieux encore, avec Marc Augé, l’ère de la « Sur-modernité ».

Pourquoi ne pas parler plutôt avec le philosophe et sociologue Zygmunt Bauman du passage à la « Société Liquide ».  Vu l’importance croissante des thèses de ce dernier et de leurs prolongements, il nous a paru utile d’y consacrer un article de réflexion.

DE LA POST-MODERNITÉ A LA "SOCIÉTÉ LIQUIDE"

De quoi s’agit-il, dans les grandes lignes?

Dans ses nombreux ouvrages (nous vous référons à la présentation bibliographique effectuée par Simon Tabet  Socio,8/2017) Bauman nous incite depuis une vingtaine d’années à questionner un monde où nos positions, nos décisions, nos responsabilités sont perpétuellement susceptibles d’être dévaluées au profit du changement  et de la nouveauté .

Le passage d’une "Société solide" à une « Société liquide » se réalise par la dissolution des liens sociaux. Les individus ne peuvent désormais plus s’appuyer sur des institutions stables, en ceci que chacun saurait qu’elles vont durer au-delà de sa propre existence.

Ce phénomène s’accentue d’autant plus qu’on assiste à la disparition des grands récits fondateurs, des grandes idéologies- sauf dans le domaine du spectacle. Tandis que prolifèrent les inventions les plus variées de « story telling », à tout propos et hors de propos dans la réalité quotidienne.

A tel point qu’il est même devenu difficile d’adresser toute forme d’appel à une communauté de valeurs a-t-on pu noter, à tout le moins jusqu’à ces derniers temps.

Certains indices montrent cependant qu’en ce moment nous sommes peut-être arrivés à un tournant.

En effet, l’actualité nous oblige à ouvrir ici  une large parenthèse pour constater une prise de conscience de l’émergence à plusieurs reprises,  d’évènements se portant à faux contre cette allégation.  Et qui, ayant bravé le filtrage médiatique, où le vécu des protagonistes est souvent biaisé dans sa représentation par le discours dominant, a fini par alerter l’opinion sur fond d’atmosphère constamment  oppressante.

Depuis quelques mois, on a vu (principalement en France et en Belgique) des franges de la population habituellement peu enclines à manifester sur la place publique, s’engager ouvertement dans des mouvements répétés de protestation véhémente : à savoir les rassemblements des “gilets jaunes »  ou des « marches des jeunes pour le climat », dont l’image est devenue quasi récurrente sur nos écrans.

Bien qu’émanant d’horizons et de formes de mobilisation différents, au moins par leur synchronicité   ces manifestations renvoient-elles  fortement à la nécessité impérieuse de pourvoir à l’indispensable conjonction des enjeux sociaux et environnementaux impliquant l’ensemble de la population, en vue d’un partage du pouvoir lors de l’élaboration des politiques en cours (“Pacte du Pouvoir de vivre” présenté par N. Hulot et L Berger, O5/O3/19).

Mouvements de masse, toujours plus ou moins suspects de déclencher le chaos, cette fois non pas ponctuels ou passagers, mais qui semblent vouloir durer, portés par un puissant courant de fond,  gage à la fois d’un profond  malaise et d’une volonté de résistance tenace.

Au grand embarras des autorités en place, lentes à en prendre exactement la mesure, acculées à employer des méthodes coercitives souvent très impopulaires  pour les neutraliser et ce, sans guère offrir de solution acceptable.

Quelles sont leurs revendications? Quel en est le dénominateur commun? Quels signaux nous envoient-ils? Protestation contre quoi? L’injustice sociale, l’incurie régnante des gouvernants face aux  dérèglements dans les domaines de la santé, de la sécurité, aux abus du pouvoir financier ? Résistance, plus précisément à qui ou à quoi?

 

Et surtout en finale, d’où peut-on attendre la réponse et de qui peut-elle réellement dépendre?   C’est loin d’être une évidence, quoiqu’une urgence face à la poussée d’un retour des totalitarismes dans le paysage  européen actuel.

Cette question est devenue source de vifs débats sur la scène politique. Mais sans arriver à déboucher sur des conclusions valides, alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour la démocratie et la survie d’une grande partie des habitants de la planète tout entière. Certaines voix tentent d’introduire quelques idées constructives au sein de ce message alarmiste, voire cataclysmique, lancé par des personnalités de renom.

Parmi ces voix, écoutons celle du philosophe Pascal Chabot qui propose dans son récent ouvrage « Exister, résister. Ce qui dépend de nous. »(2O17) un fil directeur pour guider notre réflexion sur ce sujet. Il attire particulièrement notre attention sur la nature des forces auxquelles il faudrait résister: celles-ci se présentent désormais, avance-t-il, comme des “ultra forces”.  Des forces nouvelles, mixtes, de technique, d’économique et de numérique, qui au départ étaient des moyens, ont fait irruption au sein du techno-capitalisme mondial et sont devenues une fin, créant un nouveau monde où nous peinons à nous situer.

Les stratégies régulatrices anciennes ne peuvent y faire face : du fait de leur puissance mondialisée, ces forces n’offrent pas de prise directe. Trouver l’équilibre entre pression et résistance devient l’affaire de toute une vie…

Aussi l’auteur nous invite-t-il à suivre un parcours philosophique à travers les œuvres de quelques grands penseurs contemporains (dont Bergson, Deleuze, Simondon) pour explorer la dynamique de ces « disproportions » qui fragilisent notre existence.  Mais il nous propose également d’envisager nos résistances au cœur de ce qui est advenu en nous : une « personnalité multiple», dans laquelle coexistent, selon lui, trois visages : un moi, mis en devoir de s’adapter, un sujet “clivé” entre ce qui est du côté de la force et ce qui la subit  et un soi précieux, gardien de la saveur de l’existence et du goût des autres. Et en conséquence, ce qui dépend de nous requiert impérativement la mise en œuvre de l’imagination  et de la créativité pour laquelle il nous propose un programme. 

Cette  résistance implique donc de toute façon, du “changement” et de la “nouveauté” : comment cela sera-t-il compatible avec le " maintien des liens sociaux" tel qu’en parlait  Bauman?

Sans doute faudra-t-il nous tourner vers cet autre philosophe François  Xavier Bellamy  pour  écouter l’injonction qu’il vient de nous lancer: “Demeure  - Pour  échapper à l’ère du mouvement perpétuel » (éd. Grasset, 2018).  En effet, le « changement » n’est plus aujourd’hui, comme à l’âge classique, une transition entre deux moments de stabilité. Il semble devenu une loi universelle en fonction de laquelle tout ce qui n’est pas évolution, croissance, progrès doit être transformé ou disparaître, relève l’éditeur dans sa présentation. Il met l’accent sur l’insistance avec laquelle s’emploie Bellamy à nous exhorter, à interroger, de façon concrète, notre incapacité au repos et notre oubli des stabilités les plus nécessaires à notre effort. Peut-être l’essentiel de nos existences se trouve-t-il bien plus dans ce qui est reçu et transmis, que dans ce qui est transformé? Il n’est pas de société qui s’améliore sans un but qui seul mérite notre effort, sans chercher le bien dans ce qu’il a d’éternel.  Sans doute est-ce là ce que nous pouvons retenir en guise de première conclusion.

Société liquide, corps social et crise de l'identité

Pour creuser un peu mieux le sujet, il nous faut revenir maintenant sur quelques  aspects de l’œuvre de Z.Bauman, en donnant un bref aperçu de certaines de ses thèses plus particulières sur la «  société liquide », telles que nous les entrevoyons dans le contexte actuel et qui à notre connaissance, ne bénéficient pas de l’audience qu’elles auraient méritée dans l’espace francophone  contemporain.

Dans ses nombreux ouvrages successifs (de 1998 à2007-2017)  de  renommée internationale, Bauman tente de poser les fondements théoriques  d’une sociologie qui, depuis l’ère industrielle  jusqu’à l’ère informatique est passée du risque, de la menace et de l’alerte,  à celle de la ”liquéfaction”, laquelle transcende les dichotomies analytiques existantes (J.openeditions.org/socio /27/08.)

Prenons un exemple dans le domaine du travail.

On s’aperçoit que le modèle précédent de ”l’éthos du travail et du devoir” véhiculant le respect d’un cadre social normé, conforté par le discours dominant, a peu à peu disparu.  Il a été remplacé par celui de “l’éthos du bien-être et de la réalisation de soi” qui à son tour vire à une simple “esthétique de la consommation“.  Or celle-ci ne fournit aucun cadre référentiel contraignant, permettant aux individus de former au-delà d’un simple vivre ensemble, un “corps social”.

Nous ferons remarquer que, selon certains auteurs, le passage d’un type d’analyse soit individualisante soit systémique, à une approche  « réticulaire » plus apte à aborder la complexité régnante, permettrait d’envisager ce problème sous un autre angle, mais celle dernière semble-t-il n’a pas encore fait suffisamment ses preuves dans le domaine qui nous occupe.

Relevons un point particulier touchant ce qui dans le “temps social” concerne le temps du travail (à côté de celui de la famille, du loisir et de la religion).  Une question déjà  investiguée par Roger Sue, reprise dans le cadre d’une étude de la post-modernité par Monique Esser (Revue de Louvain,1998, p.18-19) en vue de tenir compte des transformations du rapport au travail correspondant aux différentes sortes de changement dans la socialité (tels que les a caractérisés notamment Marcel Gauchet (1994).

Cette question est devenue un objet d’études interdisciplinaires de la “justice spatiale”, en termes de “droit au temps”, c’est-à-dire de moments de cristallisation d’ espace-temps sociaux au milieu du flux, et d’obligation conséquente des instances gouvernantes de multiplier les rythmes intégratifs à destination de tous et de les leur rendre accessibles. Rappelons que ce temps libre n'est pas seulement celui du divertissement ou du jeu, mais l'occasion de construire ou reconstruire ses appartenances.  

Lancées notamment avec les travaux du philosophe et historien Pascal Michon, lors de la publication  dès 2005 de « Rythmes, pouvoir et mondialisation » ces études se regroupent autour du concept de Rythmologie comme nouveau paradigme scientifique permettant de développer la résistance aux effets négatifs de la fluidité dans la société, les sciences et les arts ( voir : rhuthmos.eu/spp /php / 746) Michon,P,  2005, Rythmes, pouvoir et mondialisation).  Nous pouvons en tirer un premier enseignement.

Lorsque nous nous trouvions dans un état de société où c’est le risque qui prédomine, (Ulrich Beck) comme, notamment  au moment de la catastrophe de Tchernobyl, cet état nous invitait à calculer des probabilités quant au rapport entre les moyens et les fins ( voir , CEF, Société du risque, de la menace et de l’alerte – à paraître).

Et sur cette lancée, à multiplier les outils sociaux et techniques propres à résoudre cette difficulté. Ce qui nous a conduits à développer une “surmodernité” (M. Augé) s’étendant à toutes les sphères de la vie et caractérisée par une grande complexité.

Lorsque c’est la liquidité, au contraire qui s’installe, une seule possibilité sociétale fondamentale peut devenir désorganisatrice au sein de n’importe quelle sphère de la vie, jusqu’à engendrer une « solitude déstructurante ». La socialité qui s’installe via les “réseaux “ est une socialité sans attache, légère, fluide, révocable par un simple clic, qui ne peut desserrer l’étau de la solitude. Ceci s’observe notamment à propos du fait que l’existence d’un lien permanent entre un homme et une femme est devenue quasi impossible.  Or l’existence de liens “forts” de type fixe ou durable est précisément ce qui permettrait de mettre un terme aux efforts obstinés de définition et d’affirmation de soi (« L’Amour liquide.  De la fragilité des liens entre les hommes », Z.B,2004 voir Résumé, Babelio .com). Efforts souvent dérisoires, ramenés parfois à une accumulation de “selfies” en vue d’assurer à 'l'homme sans qualité' une place dans la légende, ou à une frénésie de voyages qui ne rencontrent que la rencontre… ajouterons-nous.

Comme le souligne Benoît Borgine, ceci ne résout que provisoirement la crise d’identité et ne fait que soulager pour un temps la fatigue d’exister, explique-t-il dans son article intitulé : “La Promesse d’être Soi" , 2011, Publié dans la revue théologique de Louvain.

Il y relève, d’autre part, se référant à Bauman que, en ce qui concerne l’existence de Dieu ou sa non-existence, cette question n’a tout simplement plus de place actuellement dans le champ des affaires humaines, mais que selon ce dernier, ce sera le grand défi qu’aura à affronter le sacré, dans cette société devenue “ liquide “.  Certains faits pourraient à l’avenir le confirmer.

Au fil de l’actualité récente, l’incendie de la Cathédrale Notre Dame de Paris offre un observatoire des réactions de la foule et des autorités concernées, à  vif tant que par la suite, qui nous donne l’opportunité de vérifier le bien fondé des  assertions  ci-dessus.

Tandis que parmi les personnes interrogées, la charge émotionnelle des doléances est reliée au caractère symbolique historico-patriotique du monument attaqué et aussi selon les cas à sa signification religieuse, du côté des autorités, on notera la réserve des commentaires attentifs à ne pas mettre en avant la sacralité catholique du lieu, dans la crainte vraisemblablement de verser de l’eau au moulin des « origines chrétiennes de l’Europe », dont ce monument témoigne indubitablement.

Qu’advient-il donc de ces vérités éternelles, passerelles laborieusement construites pendant des millénaires entre la vie mortelle et l’éternité, auxquelles certains et particulièrement ceux soucieux d’un devenir chrétien voudraient s’accrocher ? Elles resteraient  des idées en l’air…suspendues dans le vide. Comment penser l’éternel quand le présent nous accapare? Sur les flots agités de la Modernité liquide, la lutte contre la noyade passe avant le souci de l’éternité  …Au sein de cette réalité mouvante et complexe, conclut Borgine, ”habiter le site de l’identité moderne suppose l’invention d’un chemin concret où soit vécue la grâce d’être soi”.

Accession de la jeunesse à la 'culture' dans une société liquide

Sans aucun doute, cette conclusion s’applique-t-elle à chacun, quelle que soit la génération à laquelle il appartienne, mais il ne faut pas perdre de vue le fossé qui se creuse entre les générations.

Notamment en ce qui concerne les modes d’expression et de communication propres aux plus jeunes, nés après l’an 2000 et celles propres aux plus âgés, surtout les seniors dont un certain nombre ont connu la guerre et qui se trouvent confrontés à un besoin de partage et à un difficile “devoir” de transmission.

Peut-être la reprise de cette pratique d’écriture d’un “récit de vie” ou d’un “récit de soi” qui trouve ses racines dans les exercices spirituels de l’antiquité, pourrait-elle aider le sujet à saisir la singularité de son expérience par un effet de familiarisation, en sorte de pouvoir se penser dans une minorité humaine, dont il a pu se sentir séparé.  Ceci en particulier dans le cas d’expériences traumatisantes telles celles vécues lors d’un deuil, d’un accident ou d’un attentat, entraînant éventuellement la recherche de résilience. Au besoin, dans le cadre de récits partagés lors d’ateliers d’écriture collectifs, quand est venu le moment de parler, après  un temps de déni nécessaire, comme le préconise Boris Cyrulnik.  En bref, faire un récit ”mythique” pour avoir l’estime de soi.

Sur ce terrain, il est une sphère qui doit particulièrement retenir notre attention : à savoir celle de l'éducation de la jeunesse dans le contexte des bouleversements évoqués. Comme le fait remarquer A. Falabregas dans un bref mais substantiel article de la “Revue d’Orientation Scolaire et Professionnelle”, (43/2, "La société liquide" de Z. Bauman, 2014.).  Elle y développe l’idée centrale selon laquelle c’est tout un régime de sensibilité qui est en jeu et veut nous encourager à assumer une certaine inventivité morale, en conséquence de laquelle l’éducation et l’apprentissage devraient nous garantir de poursuivre des buts à haute valeur symbolique.

D’autre part, si nous suivons les analyses de Nathalie Bulle dans "Sociologie et éducation" (PUF 2000) et "L’école et son double" ( 2OO9) qu' elle rappelait lors d’un débat télévisé (le 13 octobre 2O18 "Raison et christianisme contemporain, le moment actuel de la raison pédagogique"), la doxa d’une part, et les remaniements successifs du système scolaire souvent perçu comme "en état de crise” d’autre part, devraient être examinés à l’aune des considérations suivantes: globalement, l’on peut distinguer aujourd’hui deux courants majeurs dans l’enseignement  (en francophonie) qui ont leur racine dans l’histoire de la philosophie. L’un « classique », remontant à l’académie platonicienne, tourné vers la primauté de l’esprit et la transmission des savoirs, permettant à un individu d’accéder à la culture en se transformant à partir du legs des époques précédente. L’autre, dit « progressiste », pour lequel la pensée procède de l’expérience, toute réalité devenant intelligible en termes de processus, d’histoire et d évolution, de façon à constituer une culture commune  en tant qu’ensemble de représentations et d’habitus partagés, à laquelle chacun peut puiser  pour se réaliser.

D’après nos expériences personnelles, ce sont des pédagogies dites «alternatives » telles que celles de Freinet, Montessori et plus largement Steiner (dite Waldorf) qui offrent actuellement le plus de ressources pour harmoniser ces deux points de vue. Précisons ceci à partir d’un petit exemple. On sait que de plus en plus souvent, les fêtes religieuses traditionnelles sont bannies du calendrier scolaire, Pâques est remplacé simplement par le Printemps. Dans l’école Waldorf, chaque année du cours élémentaire réserve une place à la connaissance des grands faits de l’histoire religieuse depuis l’aube des temps, à travers des vécus concrets adaptés à l’âge. Noël : fabrication de crèches “ jeu de l’ange gardien” où chaque élève inscrit en secret le nom d’un camarade à qui il témoignera de la gentillesse jusqu’à La fin de l’Avent ; pour les plus âgés, participation à une représentation dramatique de la vie de Saints ou de personnages Illustres (François d’Assise, Zarathoustra etc.) ; chant choral, récitation de poèmes ou autres activités sollicitant la sensibilité artistique.

Dans une perspective plus générale, citons quelques écrivains contemporains parmi les plus talentueux qui promeuvent à travers leurs œuvres ces mêmes valeurs et peuvent nous aider à nous engager dans ces voies de l’écologie humaine, par leur ouverture d’esprit, la justesse d’analyse, leur finesse d’appréhension du vécu, leur intuition poétique du réel et leur sens de l’humour, auteurs dont il nous faudra reparler ultérieurement (F. Hadjadj, Ch. Bobin, F.- X. Bellamy).

“Respirer, voir le jour, lire une page d’un poème, regarder un nuage qui passe en perdant de ses forces… (Christian Bobin)»

Appendix

Arrière-plans de la société liquide

Il faudrait aussi, ajouterons-nous, s’interroger sur ce qui, à l’arrière-plan de tout cela, concerne les  structures anthropologiques de l’imaginaire dans la société actuelle. Celles-ci peuvent être  déchiffrées  de diverses manières, notamment dans des livres appartenant à la littérature de jeunesse tels les albums de bandes  dessinées, dont certaines ont connu un succès mondial auprès des lecteurs de “7 à 77 ans”.

D’un côté, on pourrait croire que cet imaginaire n’a peut-être pas changé, si l’on s’en tient à ce qu’en rapportent les médias. Par exemple, si l’on se réfère à ce mode d’expression des bandes dessinées encore largement en faveur, telle la série des « Tintin», on y découvre qu’il s’agit essentiellement de « structure héroïque » (selon G. Durand « Les structures anthropologiques de l’imaginaire »par rapport aux deux autres respectivement «mystique» et «synthétique» observées dans la population.

Le «mythe du Héros» s’y est en effet révélé nettement prévalant à la période de l’adolescence dans la recherche de Lucie Jadot menée il y a quelques décennies, à partir du TEST AT9 (Rev. Psychol. Sc. Educ, 1975 vol10 n° 2-3). Selon C.G. Jung, il y signifie grosso modo la victoire d’une « vraie valeur » remportée par un individu sur la psychologie collective, en l'occurrence celle du XXème siècle.

Mais selon Pravin Ertz (2015), l’imaginaire contemporain tendrait de plus en plus vers une quatrième structure : la « structure autistique ». Cette structure prévaudrait dans le monde frénétique des objets connectés mis en place par le mouvement transhumaniste.  Ceci ne relève  plus désormais du domaine de la science-fiction, mais d’une entreprise de transformation pure et simple de l'espèce humaine. On sait  en effet que le clivage et la fragmentation propres au fonctionnement autistique peuvent dans certains cas, s’accompagner d’un haut niveau de performance intellectuelle recherché chez l'homme augmenté. (Ce qui se traduit par exemple, par l’emploi de personnes dites «autistes Asperger» dans les équipes de chercheurs de la Silicon Valley aux USA)

Pour en revenir à la fantasmatique imaginaire de la «société liquide» que nous avons décrite, si le Mythe Du héros y persiste, il n’est cependant pas porteur des mêmes valeurs que celles qui ont été promues dans le “bon vieux temps” à l’époque du prétendu humanisme moderne, hérité des “Lumières” ou alors il faudrait donner de celles-ci une autre définition.

Cette époque n’a hélas, que trop bien laissé se démasquer la face sombre que l’histoire dévoile peu à peu : Il ne nous resterait plus maintenant qu’à en retrouver la face claire, dans ce «  Miroir du XXème siècle » que nous offre la série des aventures de notre petit reporter favori, emblème de notre belgitude.

Ceci expliquerait le succès mondial qu’a rencontré en l’an 2019, la commémoration festive  du «Petit Vingtième» : «Tintin a 90 ans» qui  nous offre sans doute, à travers la suite des 24 albums d’Hergé ce «Miroir du XXème siècle» embelli par le souvenir.  Ce monde que les plus anciens parmi nous ont seuls pu connaître.

Et qui s’effiloche et sombre peu à peu, tandis que les plus jeunes lèvent les yeux vers le Ciel, en espérant qu’il ne leur tombe pas sur la tête.

Raymonde Berte