Centre d'Étude du Futur

Il existe des écrits que le temps n'efface pas. Ainsi, les quelques lignes ci-dessous, qui interpellent avec force ; et ce, depuis près de 500 ans !

... Chose vraiment surprenante, c'est de voir des millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés... N'est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d'hommes, non seulement obéir, mais ramper ?...

... Ce sont donc les peuples qui se laissent, ou plutôt se font, garrotter. Puisqu'en refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C'est le peuple qui s'assujettit et se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d'être sujet ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse... La liberté, ces hommes la dédaignent, uniquement ce me semble, parce que s'ils la désiraient, ils l'auraient ; comme s'ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu'elle est trop aisée... Soyez donc résolus à ne plus servir, et vous serez libre...

... La nature... nous a tous créés de même et coulés en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt tous frères... En faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle a voulu faire naître en eux l'affection fraternelle et les mettre à même de la pratiquer ; les uns ayant puissance de porter secours et les autres besoin d'en recevoir... Dans le partage qu'elle nous a fait de ses dons, elle a prodigué quelques avantages de corps et d'esprit, aux uns plutôt qu'aux autres, ... pour nous aborder et fraterniser ensemble, et par la communication et l'échange de nos pensées nous amener à la communauté d'idées et de volontés...

... Que dire encore ? Que la liberté est naturelle et, qu'à mon avis, nous naissons avec notre liberté, mais aussi avec la volonté de la défendre...

... Pour que les hommes... se laissent assujettir, il faut de deux choses l'une : ou qu'ils soient contraints ou qu'ils soient abusés... Abusés, ils perdent aussi leur liberté ; mais c'est alors moins souvent par la séduction d'autrui que par leur propre aveuglement...

... Il est dans la nature de l'homme d'être libre, et de vouloir l'être, mais il prend très facilement un autre pli, lorsque l'éducation le lui donne... Ainsi, la première raison de la servitude volontaire est l'habitude...

... Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce, étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. Ce système, cette pratique, ces allèchements étaient les moyens qu'employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets dans la servitude. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beau tous ces passe-temps, amusés d'un vain plaisir qui les éblouissaient, s'habituaient à servir...

... Enfin, il se trouve un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable que de ceux auxquels la liberté serait utile... Dès qu'un roi s'est déclaré tyran, s'en vient tout le mauvais, toute la lie du royaume ... Ceux qui sont possédés d'une ardente ambition ou d'une notable avarice, se groupent autour de lui, le soutiennent pour avoir part au butin, et être... autant de petits tyranneaux... C'est ainsi que le tyran asservit les sujets : les uns par les autres...

... L'amitié... c'est une chose sainte : elle ne peut exister qu'entre gens de bien... Ce qui rend un ami assuré de l'autre, c'est la connaissance de son intégrité... Il ne peut y avoir d'amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l'injustice... Entre méchants, lorsqu'ils s'assemblent, c'est un complot et non une société. Ils ne s'entretiennent pas, mais s’entre craignent. Ils ne sont pas amis mais complices...

Ces extraits – traduits en français moderne - proviennent du « Discours de la servitude volontaire », rédigé par Étienne de la Boétie, en l'an 1550. Un texte petit par la taille (une quinzaine de pages) mais dont le contenu, siècle après siècle, a conservé toute sa tonique pertinence. De fait, qui interroge notre présent souscrit sans réserve à cette lucidité de combat, à cet épaulement offert par une époque lointaine.  Un cadeau donc, parvenu jusqu'à nous ; lequel encourage à parcourir ce chemin qui mène à tous les affranchissements...

Libre comme « Je »

Le hasard a fait de moi un homme blanc. Je partage dès lors cette particularité avec un milliard d'êtres humains environ. Mais, en associant une telle couleur ethnique avec ma citoyenneté européenne, alors mes « semblables » diminuent en nombre, atteignent à peu près 700 millions de personnes. Et s'engager dans un tri plus sélectif encore, soit en répertoriant les européens blancs s'exprimant habituellement en français, fait descendre la similitude sous la barre des 70 millions. 

Pour répertorier valablement tout qui me ressemble, ce premier classement ne suffit certes pas. En effet, il faut en sus placer à mes côtés ceux qui, à la fois, sont de sexe masculin, affichent un âge équivalent, habitent ma région, détiennent une scolarité identique, se situent dans la même tranche de revenus, partagent mes idées sur l'existence. Aussi, ne restera-t-il après ce nouvel écrémage que quelques dizaines d'individus susceptibles de se dire proches de moi.

Si je persévère à sélectionner en ce sens, mes « pareils » vont devenir de plus en plus rares, jusqu'à la disparition totale. Ainsi, beaucoup ne partageront pas du tout mes goûts culinaires, mes choix musicaux, mes enthousiasmes littéraires. D'autres, ne comprendront jamais combien je suis sensible à la verdeur de ma pelouse, ou aux facéties de mon chat...etc...etc...etc...

Au final, un tel processus de discernement permet de constater, chez chacun d'entre nous, l'existence d'un microcosme particulier, d'une complexion résolument unique.

Malheureusement, la plupart des hommes esquivent une telle quête d'eux-mêmes. Laquelle, s'effectue obligatoirement en solitaire.

A cause de ce renoncement, de ce non-approfondissement du distinct, des foules entières se figent dans les appartenances primaires, s'en tiennent aux seules identités grégaires. Par conséquent, races et nationalismes entravent ces masses sans relief, au moyen d'une altérité au rabais. Alors, cantonnés et conformes, ceux-là s'envisagent exclusivement comme maillon d'une chaîne blanche, noire ou jaune, se rangent docilement sous les bannières qui agglutinent.

Certains, s'avancent un peu plus loin, prennent quelque distance avec les agrégats par trop fusionnels. Mais, n'atteignent pas la rive de l'intimité singulière. Ils s'arrêtent au milieu du gué, s'abandonnent aux courants des catégories. Et métier, études, argent, position sociale, les entraînent vers des tourbillons qui amalgament tout autant, qui les définissent totalement, eux aussi par la simple apparence.

Il y a, dans ce refus de la souveraineté individuelle, un oubli d'importance. De fait, au départ, l'homme semblait avoir peu de chances d'assurer sa survie.

En pleine nature sauvage, il se retrouvait dépourvu de crocs, griffes, cornes, venin, carapace, pour se défendre des prédateurs, ainsi que pour chasser des proies. Il ne courait pas très vite non plus, ne pouvait se cacher en vivant sous la terre, grimpait sans vélocité dans les arbres, ne possédait pas de fourrure qui protège du froid. De plus, les jeunes animaux héritaient, dès leur naissance, de robustesse et d'instincts salvateurs. Mais lui, serait fragile, dépendant et en apprentissage durant de longues années. En réalité, un tel animal raté aurait dû disparaître aussitôt. Toutefois, les groupes premiers disposaient de deux atouts majeurs.

D'abord, nombre d'individus exprimaient une originalité propre à servir la collectivité. Ce qui, à la réflexion, n'a rien d'étonnant. Parce qu'absolument personnels, l'ADN, les empreintes digitales, la forme des mains, l'iris, le visage, la voix, confirment en effet cette différenciation naturelle des humains. De plus, on sait aujourd'hui que le cerveau fonctionne d'une manière particulière à chacun. Dès lors, réunir des tournures à ce point diversifiées favorisa les trouvailles bénéfiques.

Ensuite, ces idées innovantes se répandirent grâce au langage. De fait, écouter l'autre avec attention, le laisser parler en lui évitant rebuffades ou moqueries, décoder les nuances que véhicule chaque propos, ont également contribué au perfectionnement de techniques, de compétences, d'armes, d'outils. En sorte que se réalisa l'apprivoisement d'un milieu tout à fait hostile.

De nos jours, s'impose aux hommes un environnement à nouveau dangereux. Le réchauffement climatique, la pollution générale, la disparition progressive des ressources indispensables, les armes de destruction massives, ressuscitent la situation qui prévalait aux origines. Comme autrefois, l'avenir de notre espèce s'avère fort aléatoire. Aussi, nous faut-il réapprendre à surmonter des conditions d'existence périlleuses.

De toute évidence, notre salut viendra du double mouvement primordial. Lequel force à reconnaître que nous sommes tous naturellement dissemblables, et que pareille légitimation se concrétise par la mise en débat de solutions inédites.

Or, les problèmes qui se posent aujourd'hui sont mondiaux. C'est pourquoi l'entente doit être forcément planétaire. Hélas, ce « Je » qui s'accorde si bien à l'universel, se voit à présent supplanté par les « Nous » claniques qui excluent. Dès lors, l'autre n'apparaît plus en égal aux multiples facettes identitaires. Il représente désormais une minable caricature, un comparse de ce « Eux » barbare et menaçant. 

Partout dans le monde, à la tête de ces embrigadements qui séparent et concourent maintenant à notre perte, se cache le pouvoir de quelques uns. En conséquence, l'actuelle situation désastreuse nous rappelle ce droit ô combien essentiel : celui de désobéir.

 

Soumis car immatures

    L'obéissance se trouve profondément enracinée dans notre inconscient. Et cette propension à s'incliner devant les mécanismes autoritaires constitue le vrai problème.

Dès les premières années de l'existence, sévissent nombre de contraintes qui vont nous façonner. C'est ainsi que l'individualité, la spontanéité, la fraîcheur naturelles de l'enfance vont péricliter, au bénéfice des normes sociétales en vigueur. Depuis toujours en effet, « l'éducation » s'ajuste aux exigences du pouvoir en place.

Pendant des millénaires, un dressage strict des très jeunes fut la règle. Le prétexte était qu'il fallait les endurcir, les préparer aux tourments d'une vie rude, courte, malheureuse. Mais en réalité, la société s'appuyait sur cette peur inoculée par tous ces pères castrateurs. Les nombreux chefs se voyaient ainsi nimbés de l'aura paternelle redoutée. Ceci, afin de fournir des sujets dociles, des travailleurs résignés, des soldats disciplinés.

Depuis quelques décennies, cette mise en condition rigoureuse dès l'âge tendre se fait rare. L'heure n'est plus à la sévérité, aux gifles ou bastonnades. Maintenant, infuser sans délais une obéissance machinale s'effectue par une subtile forme de chantage.    

Se retrouver tout à fait seul, sans amour ni protection des parents, constitue le pire cauchemar d'un bambin. Son réflexe premier sera donc d'éviter reproches, dédains, colères émanant de ses géniteurs. Ceux-ci d ès lors, consciemment ou non, joueront de ce levier imparable : soit tu t'inclines, soit on s'éloigne de toi !

Cette apparente toute-puissance parentale se voit cependant tempérée par le capitalisme actuel. Car ce dernier mise beaucoup sur le principe de plaisir. Les puissants d'aujourd'hui prospèrent grâce à ces  images idylliques qui excitent les appétits consuméristes. C'est pourquoi la contrainte familiale ne peut totalement étouffer, comme autrefois, les élans pulsionnels. Par conséquent, il y a cette pression constante sur les jeunes pour qu'ils apprennent un métier lucratif, afin d'acheter le superflu et « sortir du lot ». Mais également, il y a ce laxisme les incitant à la fête perpétuelle.

    Chaque forme de pouvoir gouverne des mentalités puériles. Et cette immaturité, qui conduit à la soumission, s'obtient par brutalité ou duperie. Or, nous ne sommes plus à l'époque du père autoritaire, mais bien sous l'emprise d'une mère abusive. Celle-ci séduit parce qu'elle affirme vouloir notre plus grand bien, qu'elle distribue une pléthore de cadeaux. En réalité, elle contraint en douceur, remplace les citoyens vigilants par d'apathiques consommateurs repus.

Semblable stratégie manipulatrice nous plonge aussi dans un conte de fée permanent. Une fable enchanteresse, qui présente à chacun la possibilité de devenir riche. Ou du moins, se fait fort de satisfaire des désirs illimités, euphories inédites, jouissances immédiates. Finalement, cette fiction peinte en rose propose à tous de vivre à la façon d'un prince, mais pour autant que l'on soit méritant. Un labeur d'esclave permet en effet l'accession aux félicités monnayables. 

Le but recherché apparaît alors en pleine lumière : assurer l'infantilisation définitive des adultes, leur prescrire de l'agitation à plein temps, les empêcher d'acquérir une émancipatrice vie intérieure.

    Mettre fin à ses propres enfantillages, se réalise en ne se souciant pas d'être apprécié, aimé, reconnu, valorisé, sécurisé par l'une ou l'autre autorité. C'est ne pas subordonner sa conduite aux attentes extérieures, aux instances proclamées, à ces regards inquisiteurs qui exigent la conformité. Certes, les circonstances, parfois, nous commandent d'obéir quelque peu. Mais, cette souplesse obligée se doit de rester superficielle, n'atteindre jamais la génuflexion déshonorante des grégaires.

L'obstacle à surmonter se cache derrière un écran de fumée. Car beaucoup se croient libres. Parce qu'ils ne subissent plus les rigidités de jadis. Ils peuvent dès lors exprimer impunément frustrations, aigreurs, ressentiments. Ceux-là oublient cependant que l'autonomie véritable s'appuie sur la liberté de penser. Et, que celle-ci demande un effort, se découvre par fragments, s'apprend jour après jour.

La condition première de toute réflexion personnelle, requiert de connaître ses tares et lacunes, d'oser se regarder en face, d'aller au plus profond de soi-même. Or, ceci nécessite de l'énergie, mais aussi du temps disponible. Il nous faut donc actionner de tels atouts, voire carrément les dérober, les soustraire à ces activités hautement glorifiées : le travail et la consommation.

L'introspection fondamentale débouche souvent sur quelques déceptions. On ne se trouve pas suffisamment « convenable ». Soit une vision esthétique de l'intime, laquelle exhorte à la sculpture de soi, engage à polir son individualité. De plus, grâce à cette lucidité artiste, les laideurs qui dégradent le monde alentour suscitent une indignation chronique. S'installe alors l'aptitude issue de la maturité, et que détestent tous les puissants : l'esprit critique.

 

Ni parents, ni amis

    Le refus d'un quelconque assujettissement, la volonté de construire et d'embellir sa vie, ouvrent la question fondamentale : vers où se diriger pour continuer à grandir ?

Déjà, la prudence s'impose. Car notre société mise tout sur l'avoir. Aussi, le vouloir être lui apparaît comme une quasi offense. Dès lors, en sus du conditionnement instaurant frénésies et dépenses, elle s'ingénie à distraire de l'essentiel. C'est ainsi que le divertissement détourne l'attention, que l'amusement procure au pouvoir une diversion supplémentaire pour déforcer toute dissidence.

En fait, le chemin vers l'épanouissement requiert de prendre ses distances. Il faut se protéger d'une tactique qui, sans trêves et sans freins, déverse illusions, convoitises, distractions. Et, parce que ce poison est plaisant, l'antidote bien évidemment semble des plus amer. Pourtant, seule la pensée de notre mort peut interrompre cette bousculade vers la servitude volontaire.

    Se dire, fréquemment, que nous allons mourir tôt ou tard, convertit toute accumulation d'argent en activité dérisoire. A quoi bon vouer son existence à ce ridicule aiguillon, quand on est sûr de finir au cimetière ?!? Sans conteste, s'acharner à parfaire un tel entassement de richesse signale quelque trouble mental.

Parce qu'entièrement régis par l'instinct, les animaux ne versent pas dans semblable travers. Ils perçoivent spontanément que l'excès représente un danger pour leur équilibre vital. Les hommes par contre, doivent s'habituer au désir permanent. Et ce penchant ne gouverne pas seulement l'appât du gain. Ceci concerne également sexe et reconnaissance sociale. C'est pourquoi la mystification contemporaine encourage une totale démesure. Car généraliser l'outrance revient à régenter des foules avides, insatiables, véritablement droguées au « toujours plus ».

Infléchir pareille dépendance, se déclenche donc en prenant conscience de l'inéluctable trépas. Or regarder ce destin bien en face, propulse au grand jour soit l'absurdité, soit le sens profond de notre condition humaine. N'existent alors que l'option du suicide et celle de la plénitude.

Bien sûr, il vaut mieux choisir de vivre en toute luxuriance. C'est-à-dire s'associer à quelque chose de grand. Ce qui permet de s'accroître, de dépasser ses petitesses. De fait, religions, philosophies, visions politiques majeures, refoulent les espérances vulgaires, propulsent vers des hauteurs inaccessibles à la médiocrité.

Reste encore à se méfier des contrefaçons. Aussi, pour écarter toute forme de sectarisme, on sélectionnera l'avancée favorisant le « Je » qui libère, et s'opposant au « Nous » qui fanatise, tout en refusant ce « Eux » qui méprise, accueillant au final un « Tous » qui rassemble.

    De nos jours, ces convictions, idéaux, croyances, s'interprètent comme contraignantes résurgences des âges obscurs. Et se structurer grâce aux valeurs morales, principes incontournables, règles librement choisies, passe pour du masochisme. Pire encore, celui qui affiche des opinions bien affirmées, se voit aujourd'hui considéré comme un benêt, une dupe prisonnière de quelque mirage enjôleur.

En réalité, le monde dans lequel nous évoluons subit massivement ce « dernier homme » prophétisé par Nietzsche. Il s'agit d'un personnage qui se prétend malin, qui « cligne de l'oeil et croit avoir inventé le bonheur ». Pullulent ainsi des êtres standardisés, ne croyant à rien d'autre qu'à leur strict intérêt immédiat.

Ces soi-disant rusés compères, se prosternent toutefois devant plus débrouillard qu'eux. Repérant très vite le niveau social de chacun, ils témoignent de la plus humble soumission envers qui les surpasse. Car rien ne paraît autant légitime à leurs yeux que les supériorités octroyées par l'argent ou la notoriété. Cette façon de voir reconnaît donc une infinité d'échelons hiérarchiques. De sorte qu'une telle dominance par niveaux successifs, met en lumière l'insignifiance de ceux qui végètent au palier inférieur.       

Maintenant largement répandu, un moralisme comparatif impose le modèle du « gagnant ». Et « grimper le plus haut possible », gouverne ainsi bien des esprits. La société mercantile a donc réussi ce tour de force : diriger les populations au moyen de brides psychologiques. Ce qui ne suscite guère de révolte. Car, une telle oppression parvient à se rendre invisible.

    « Dans les affaires, rien ne compte hormis le résultat. Aussi, qui veut réussir se doit d'éliminer tout obstacle ; jusqu'à considérer n'avoir ni parent ni ami ».

Pareil credo, s'ajuste à la mentalité boutiquière de l'époque. Dès lors, beaucoup s'inclinent devant ce chef-d’œuvre d'égoïsme. Car, si l'on n'aspire pas à l'émergence d'un monde meilleur, il faut par conséquent « s'adapter », s'abandonner aux normes collectives en vigueur. Et ces dernières, pour  chaque aspect de l'existence, incitent à pourchasser son avantage de manière obsessionnelle.

Une telle influence, multiplie les êtres instables, versatiles, irresponsables, superficiels. Dès lors, tôt ou tard, ces égocentriques forcenés profitent de leur entourage, en le manipulant, en le spoliant, en le trahissant.

Souvent, ils s'étonnent des réprobations quant à semblable non-respect de l'humain. On retrouve ici cette curieuse forme d'innocence, ressentie par ceux qui ne font qu'obéir, qui intériorisent un rôle s'intégrant tout à fait au décor.

Parachever la servitude volontaire ?

    Il y a quelques semaines, la Biélorussie se trouvait empêtrée dans d'importantes difficultés de trésorerie. Tout naturellement, elle sollicitait alors un prêt, libellé en dollars, auprès des plus hautes instances financières de la planète. Aussitôt, Fond Monétaire International et Banque Mondiale accédaient à cette demande, laquelle se traduisait par des centaines de millions d'argent frais. Or, surprise, les conditions d'octroi de pareilles sommes se révélèrent absolument invraisemblables.

Avant d'obtenir un tel secours, le pays devait obligatoirement activer des « précautions » jusqu'ici négligées. En ces temps de pandémie due au covid-19, la population aurait ainsi à s'enfermer maintenant dans un confinement strict, s'astreindre continuellement au port du masque, barricader ses frontières, supprimer toute activité économique non-essentielle. De sorte qu'en imposant ces prescriptions inattendues, ceux qui accordaient la soi-disant aide enfonçaient en réalité leur obligé dans le marasme économique !

Ceci s'avérait d'autant plus incohérent que le virus en question n'affectait guère cette petite nation. Par rapport au reste du monde, on comptait en effet très peu de contaminations et décès parmi ses habitants. En outre, son grand nombre de lits d'hôpitaux, la qualité du personnel soignant, la quasi gratuité des soins médicaux, protégeaient efficacement de l'épidémie.

Finalement, le gouvernement biélorusse décidait de livrer au public le détail de ces tractations – qui auraient du rester secrètes – parce que s'estimant victime d'un scandaleux chantage.

    Il semble bien que les mesures demandées à la Biélorussie, contre « récompense », aient été acceptées par de nombreux pays. Sinon, comment expliquer le sévère confinement d'environ 3 milliards de personnes réparties en diverses régions du globe ?!?

Cette mise en cage générale, paraît d'autant plus irrationnelle que le virus tue principalement les vieux. Il aurait donc suffit de placer à l'écart ces individus dont l'âge dépasse 65 ans, pour éviter l'hécatombe. Certes, parfois la maladie attaque mortellement d'autres catégories. Dans ce cas cependant, sa létalité ne dépasse absolument pas celle provoquée par une quelconque grippe saisonnière. Dès lors, pourquoi mettre ainsi presque toute l'économie mondiale à l'arrêt ?

Incompréhensible apparaît donc l'attitude des F.M.I. et consorts, dont le rôle ne consiste nullement à se préoccuper de la santé publique assurée par l'une ou l'autre nation ! Mais, surtout, que devient la mission essentielle de ceux-là ? Laquelle consiste à porter au plus haut la prospérité du régime capitaliste, et certainement pas de détruire à ce point ses profits!

    Par bonheur, un éclairage subtil de l'aberrante situation présente existe bel et bien. Voici une dizaine d'années en effet, un livre, rédigé par Naomi Klein, a décrit dans le détail certaine manœuvre perfide du néolibéralisme.

Déjà, le titre de l'ouvrage (La stratégie du choc) annonçait la couleur. De fait, lorsque l'occasion s'en présente, les puissants de ce monde s'arrangent pour s'enrichir grâce au désarroi général. Ce dernier, provient toujours d'un événement majeur qui effraye l'ensemble du corps social, déstabilise le quotidien des populations.

A l'origine du bouleversement, plusieurs causes sont possibles : effondrement du système politique en vigueur, spectaculaires manifestations de rue, attentats particulièrement meurtriers, catastrophes naturelles impressionnantes,... Aussi, de tels désastres suscitent-ils une réelle angoisse ; laquelle, paraît-il, ne peut s'évacuer qu'en rectifiant d'improbables « excès ». Soit le prétexte parfait pour imposer des lois liberticides, démanteler nombre d'acquis sociaux, réduire les salaires, modifier la fiscalité,...

L'actuelle crise sanitaire, avec sa déplorable gestion traumatisante, démontre amplement la réalité de cette honteuse tactique-alibi, se révèle donc une authentique aubaine pour certains.

    Le 3 juin 2020, survient un événement propre à renforcer ces soupçons de manigances. Car, ce jour-là, la Directrice de F.M.I. en personne (Mme Kristalina Georgieva) nous annonce à grands fracas l'arrivée prochaine d'un « great reset ». C'est-à-dire, qu'adviendra bientôt la totale « remise à zéro » de toute l'économie mondiale !

Si l'on en croit cette dame, la réforme décisive profiterait à chacun d'entre nous, veillerait aux seuls intérêts de tous les peuples. Ce qui n'apparaît guère convaincant. De fait, jusqu'ici l'action du F.M.I. a toujours été d'aider à l'exploitation des moins nantis par une poignée de privilégiés.

D'autre part, notre prétendue bienfaitrice occulte soigneusement l'impasse dans laquelle un système rapace a voulu s'engager. Ce dernier en effet, ne peut plus augmenter son pactole en recourant aux moyens habituels. Car, réchauffement climatique, pollutions endémiques, imminente fin du pétrole, disparition inéluctable de métaux indispensables, colossaux endettements collectifs, vieillissement du producteur-consommateur des pays industriels,... désormais lui commandent d'autres façons d'accaparer pouvoir et richesse.

Une question dès lors vient à l'esprit : dans quelle direction l'activité prédatrice des plus fortunés va-t-elle maintenant se diriger ?

    Sans grande surprise, c'est la spéculation boursière qui divulgue ce qu'on nous prépare en catimini.

Normalement, toute fièvre spéculatrice devait s'éteindre car s'alignant sur la profonde déprime de la vie économique actuelle. Or, nombre d'actions cotées en bourse atteignent aujourd'hui des sommets ; et ce, malgré les faillites en cascades, la forte croissance du chômage, les bénéfices en berne. Cependant, scruter dans le détail ces énormes valorisations injustifiées indique que celles-ci se concentrent sur certaines entreprises. Seules profitent les sociétés qui innovent dans l'informatique, le digital, le numérique, l'accumulation gigantesque de données, le traitement ultra-rapide des informations, les algorithmes, l'intelligence artificielle, les manipulations génétiques, la biologie cellulaire, le séquençage du génome, ...

Le Forum Économique Mondial, qui se déroule chaque année à Davos, confirme cette dynamique observée grâce aux indices boursiers. Indéniablement, selon le haut responsable de l'organisme précité, nous serions à la veille d'une quatrième révolution industrielle !

Ainsi, très prochainement, un nouveau modèle économique ne fabriquera plus des objets en pagaille. A la place, et par le biais de technologies sophistiquées, il offrira des solutions. Pour travailler plus efficacement, consommer judicieusement, s'amuser davantage, éviter les maladies, rester jeune plus longtemps, reculer indéfiniment le moment de mourir.

    Afin de conserver ses privilèges, une infime minorité a décidé de nous engager sur un chemin où les machines réguleront chacun de nos actes. Et les injonctions de celles-ci, souvent plus judicieuses que bien des raisonnements humains, annihileront peu à peu toute tentative de libre-arbitre.

Se hisser à la hauteur de ces entités quasi infaillibles, ne pourra s'accomplir qu'en « améliorant » les hommes. Mais cela est également prévu. Sans conteste, l'idéologie transhumaniste transparaît dans les projets que l'on a fait pour nous. Et dans cette perspective, de notre humanité aussi il faudra faire le deuil.

Heureusement, pour dire « non » à pareilles régressions, La Boétie nous apporte une aide précieuse. Il met effectivement en garde contre le conditionnement opéré dès l'enfance, les pulsions qui s'épanchent sans limites, la constante pression des normes collectives. C'est pourquoi, s'inspirer de  tels constats permet d'anéantir cet ultime avatar de la servitude volontaire.

Ne l'oublions jamais : c'est en ôtant les œillères que l'on parvient à rejeter le joug.

 

 

Gablou