Centre d'Étude du Futur

 

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Sujet: Réclamation

 

Monsieur Bouloni,

Il y a trois semaines, j'ai acheté dans votre magasin un androïde qui répond au nom de « Julius ». Et, je tiens aujourd'hui à vous faire part de mon profond mécontentement.

Ainsi qu'il est dit dans votre publicité, ce robot serait particulièrement doué pour parfaire l'éducation des enfants. Or, je vous reproduis ici ce que je l'ai entendu dire à mes fils: « Pour conduire ses légions romaines à la conquête de la Gaule, César se servait rarement de son GPS »!

Croyant à une plaisanterie, j'ai aussitôt lancé: « Vous en êtes sûr? ». Mais lui, au lieu de me répondre sur le même ton badin, m'a répliqué avec le plus grand sérieux: « Oui, j'ai vérifié »!

Ou encore, dans un dialogue avec mon aîné, cette phrase: « ... Je suppose que oui, mais ceci, bien sûr, n'est qu'un suppositoire »!

Si cet androïde se révèle ridiculement ignare, il se montre en outre éminemment impoli.

Il y a 15 jours, nous avons reçu mon patron et son épouse. Il s'agit là d'une sorte de tradition. Chaque année en effet, ce couple nous fait l'honneur de venir souper à la maison. Nous en avons alors profité pour demander à notre automate de servir à table. Or, quand mon employeur lui a demandé son nom, Julius lui a lancé, avec un clin d'œil appuyé: « Je m'appelle Cochise »!

A mon avis, cette réponse idiote résulte du patronyme de mon patron. Car, de par son origine espagnole, il se nomme Miguel Geronimo.

Il y a donc, parmi vos techniciens qui ont programmé cette machine, l'un ou l'autre amateur de western. Par bonheur, ce n'est pas le cas de Monsieur Geronimo. Lequel ne s'intéresse nullement au cinéma. Il n'a dès lors pas réagi à cette plaisanterie d'un goût douteux.

La suite, hélas, s'avère bien plus désolante...

Si l'être humain transpire, il apparaît que les androïdes, eux, suintent. Effectivement, ils perdent de l'huile. En tous cas, c'est ce qui est arrivé chez nous.

De fait, alors que notre insolite domestique présentait les plats à nos invités, une grosse goutte de liquide poisseux s'écrasa sur l'avant-bras charnu de Madame Geronimo. Laquelle aussitôt, mais sans colère aucune, manifesta sa surprise: « Il semble, Monsieur Cochise, que vous perdiez votre huile. Et, que celle-ci dégouline sur moi ».

Alors, au lieu de se confondre en excuses empressées, l'intéressé rétorqua tout de go: « Mais, vous n'en serez que plus grasse, chère Madame ».

Lorsqu'on sait que Madame Geronimo approche les 100 kilos, pareille remarque s'avère particulièrement désobligeante. En conséquence, le reste de la soirée se déroula dans une ambiance glaciale. Et, les Geronimo invoquèrent quelque prétexte pour s'en aller plus tôt que prévu.

La promotion que j'attendais depuis plusieurs années, risque à présent de me passer sous le nez. Ceci, à cause de ce Julius-Cochise. Cependant, je n'ai guère eu le temps de m'appesantir sur mon malheur. Car, quelques jours plus tard, survenait un épisode beaucoup plus déplaisant...

 

Jeudi dernier, ma journée de travail exceptionnellement écourtée, je rentrai chez moi sans prévenir personne. Or, suite à des bruits incongrus provenant de notre chambre à coucher, je grimpai aussitôt à l'étage. C'est là que je surpris ma digne moitié en compagnie du funeste humanoïde. Et, tous deux occupés à l'activité que vous devinez sans peine.

Oui, Monsieur Bouloni, me voilà cocu! Et ce, par la faute d'une ferraille, de votre ferraille!

 

J'ai très brièvement observé ces ardents quoique honteux ébats dans le lit conjugal. A cela, s'ajoute la mine réjouie de mon épouse. Aussi dois-je admettre que tout n'est pas défectueux chez cet androïde. Cependant, vous auriez grand tort de tirer quelque satisfaction d'un tel constat.

Les faits divers, quotidiennement relatés par nombre de médias, regorgent de crimes passionnels. Et j'aurais pu, moi aussi, perdre mon sang-froid. C'est pourquoi les agissements de ce vil séducteur représentent une menace pour le respect des lois et la paix des ménages.

En conséquence, Monsieur Bouloni, je plaide ici la clause 4 du paragraphe 3 (garantie) de ce contrat conclu entre votre société et moi-même. Je vous demande donc de reprendre, dans les plus brefs délais, votre néfaste et donjuanesque marchandise, tout en me restituant l'argent que je vous ai imprudemment versé.

 

C'est en comptant sur votre probité professionnelle que je vous fais part ici de mes salutations distinguées.

 

Adolphe Witebol 

 

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Sujet: Courage!

 

 

 

Mon amour,

 

Tu es loin de moi par la distance mais proche à mon coeur. C'est pourquoi je ressens tout à fait ta tristesse, ta déception, ton découragement.

 

Tu ne dois pas te laisser abattre. Et, pour cela, ignorer toutes ces critiques grotesques. Car ceux qui osent aujourd'hui t'accuser de « dopage », se conduisent en vulgaires hypocrites.

Comme chacun sait, tous les athlètes emploient des « produits ». J'ai moi-même pu constater l'ampleur de cette pratique. Naguère en effet, simple spectateur d'une grande compétition cycliste, j'avais ramassé un de ces bidons que l'on place sur les vélos. C'était celui perdu par un coureur. Alors, j'eus cette malencontreuse idée de mélanger son contenu avec la nourriture que je donne habituellement à mes poules. Et, dès leur première becquée, celles-ci se mirent à pondre à la vitesse de l'éclair. De sorte que s'ensuivit une avalanche d'œufs frais submergeant tout le poulailler. Il fallut patienter cinq jours entiers, avant que se tarisse semblable production torrentielle.

Ceci illustre adéquatement le problème. Car ces faux jetons du « Comité international sportif » veulent ignorer ces combines bien connues. En revanche, ils refusent ta participation aux jeux olympiques en avançant des motifs ridicules.

 

Tu n'as jamais absorbé, en catimini, l'une ou l'autre substance stimulante. Au contraire, ton choix fut toujours celui de la transparence. D'où ce dessein, proclamé haut et fort, de te faire couper les deux jambes. Et, pareille chirurgie se révéla par la suite une excellente initiative. Parce que désormais, tu pouvais te consacrer à cette vocation qui t'anime depuis toujours: la course à pied. De fait, tes jambes artificielles ont aussitôt fait merveille.

Que de marathons victorieux! Quelle puissance dans tes foulées! Et toujours, avec cette élégance et ce style qui n'appartiennent qu'à toi!

Mais, tu le sais, mon amour, le succès des uns attise souvent la jalousie de beaucoup d'autres...

 

Moi aussi, j'ai dû subir l'agressivité des envieux. Pour la simple raison de n'avoir jamais eût à souffrir du chômage.

Aujourd'hui, trouver du travail s'avère effectivement très problématique. Or, mon ambition fut d'esquiver rapidement ce souci, en optant pour l'ablation de mes bras. De fait, c'est grâce à la longueur de mes deux prothèses que les supermarchés « Bollewinkel » m'ont de suite engagé. Car, cette fonction de réassortisseur en magasin est vraiment faite pour l'homme auto-amputé que je suis. Avec moi, plus besoin d'escabeau ou d'élévateur pour approvisionner en marchandises les rayonnages situés au plus haut. Soit, beaucoup de temps et d'argent économisés par mon employeur.

Certes, tu connais tout cela. Mais, je crois bon de te rappeler combien nos parcours de vie convergent. Aussi, grâce à ces aspirations communes, suis-je celui qui te comprend le mieux. En réalité, un alter ego, lequel conçoit parfaitement le pourquoi de ta tentative de suicide...

 

Décrocher une médaille d'or, grimper sur la première marche du podium, parvenir à la consécration mondiale, étaient ces rêves qui te hantaient depuis toujours. Je perçois donc la mélancolie qui t'accable puisqu'on t'interdit à présent ces grandes joies tant espérées.

Toutefois, j'avoue n'avoir jamais imaginé que tu essayerais de mettre fin à tes jours. Ni que tu organiserais ce funeste projet avec une telle minutie. D'abord, tu as choisi l'une de ces nombreuses paires de jambes rangées dans ta garde-robe, ensuite tu les as remplies de ciment, puis tu t'es jetée du plus haut pont surplombant la Meuse.

Heureusement, le destin veillait. Par chance, un pêcheur à la ligne se trouvait juste en contrebas. Alors, ce terrible poids dégringolant du ciel a coulé sa barque, précipitant à son tour le brave homme dans l'eau froide.

C'est lui qui t'as sauvée. Par réflexe, il t'a immédiatement agrippée. Et, malgré cette lourdeur qui vous entraînait tous deux vers le fond du fleuve, ce héros parvint à te ramener sur la berge. Qu'il soit mille fois béni!

 

Tu vas beaucoup mieux. Déjà, la clinique t'autorise à te servir de ton ordinateur portable ainsi qu'à recevoir des e-mails, dont celui-ci. D'autre part, j'ai rencontré le médecin-psychiatre, Monsieur Vanfoudchal. Et ce dernier m'a certifié que tu rentrerais bientôt à la maison. Quel bonheur!

Déjà, j'imagine combien grande sera cette fête lors de nos retrouvailles. Immédiatement, j'ôterai mes prothèses de travail, les remplaçant par ma paire de bras « Schwarzenegger ». Des membres terriblement charpentés, dont les muscles saillants t'émoustillent depuis toujours. Et, comme d'habitude, tu  nourriras mes fantasmes avec tes jambes « Hiroshima ». Celles qui te transforment en vraie bombe sexuelle, celles dont toute la surface est érotiquement recouverte d'estampes japonaises.

Comme tu le vois, mon amour, je t'attends avec la plus folle impatience...

 

Ton Julien qui t'adore.

 

 

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Sujet: Paternelles inquiétudes

 

 

Ma chère enfant,

 

Sachez d'abord que je me doute de votre intense surprise. En effet, cette missive qui nous occupe céans, se présente dépourvue de la moindre civilité. Parce que loin de ces lettres rédigées habituellement à la plume, sur du papier de noble texture et frappé des armoiries de notre illustre lignée.

Il revient à notre majordome de m'avoir récemment initié à cette trivialité dénommée « Internet ». Souffrez dès lors que j'emploie semblable procédé inélégant, quoique rapide, pour vous signifier aujourd'hui ma contrariété.

 

Face à cette infortune qui fond à présent sur notre famille, l'appui de votre mère se révèle  précieux. Comme toujours, icelle se tient fermement à mes côtés. Fidèle, elle aussi, à la fière devise des gentilshommes de Hautetige: « Jamais ne fléchit! ».

 

En réalité, nos malheurs débutèrent lorsque vous nous présentâmes celui qui allait devenir votre mari. Car, dès sa survenue au château, ce moqueur et roturier jeune homme nous fit une mauvaise impression. Déjà, son prénom (Marcel !) suggérait l'absence totale de sang bleu. Mais très vite, nous subodorâmes que coulait dans ses veines une quelconque vinasse de gros rouge. D'ailleurs, sans attendre, l'intéressé lui-même confirma nos appréhensions: « D'accord, vous êtes vicomte. Mais moi, j'ai le titre de chevalier. Oui, parfaitement! Je suis chevalier du Tastevin! ». Hélas – et si je puis m'exprimer de la sorte – la suite se révéla « du même tonneau »...

 

Comment diantre avez-vous pu souscrire aux foucades d'un tel personnage? Car, c'est lui qui a voulu ce traitement visant à « bonifier » le patrimoine génétique de votre premier-né. Jusqu'à choisir pour cet enfant, l'inoculation de certains gènes émanant d'un hibou!

Certes, le garçon se révèle maintenant nyctalope accompli. Il pourra désormais s'orienter dans le noir. Mais, si l'on excepte la profession de cambrioleur, à quoi cela peut-il servir? Par contre, pareille hérédité dévoyée rompt ce haut lignage qui nous fait aristocrates. De fait, notre ancestrale supériorité de caste réclame un ADN sans faille. Dès lors, mieux eût valu consentir à l'usage d'une lampe de poche plutôt que d'élire comme parent un insignifiant volatile.

Mais l'inénarrable sieur Marcel persiste et signe. Et, à nouveau, vous notifie son mépris de la particule: « De quoi donc se plaint ton père!?! Son petit-fils descend maintenant d'un grand-duc! ». 

 

Le grand-duc n'est pas cet aigle volant au soleil, mais un rapace qui se dissimule dans l'obscurité. Ceci le disqualifie, lui interdit de figurer sur les blasons honorables. Hélas, votre calamiteux conjoint ne s'embarrasse guère de telles nuances. Et, déprécie ce qu'il ne comprend pas. Aussi le nommons-nous, avec justesse, la mérule.

Pour sûr, un mariage réussi réclame une solidarité entre époux. Je suis votre père et, à ce titre, mon devoir consisterait à vous rappeler ce principe absolu. Pour cela, il me faudrait fermer les yeux sur les agissements de mon gendre, mettre fin à mes critiques. Ce qui contribuerait peut-être à conforter votre union. Cependant, comment pourrais-je ne point réagir, accepter ces conséquences de la navrante métamorphose de mon petit-fils?

 

Vous me l'avez avoué: le pauvre enfant se réveille chaque soir à la même heure, lorsque tous dorment du plus profond sommeil. Ensuite, celui-ci arpente les sombres couloirs de votre demeure, en poussant ces Hou... Hou... lugubres des oiseaux de nuit! Vous croyez même qu'il regarde maintenant les souris d'un œil gourmand!

Quant à la réaction de Marcel, elle ne surprend personne: «  Mon fils est vraiment chouette! ».

 

Puisque vous l'avez laissé faire, votre conjoint ne s'arrêtera pas là. Tôt ou tard, il voudra que sa progéniture courre aussi vite qu'un zèbre, saute plus haut que les cabris, développe une musculature de gorille.

Ainsi s'éteindra notre glorieux lignage, lequel remonte aux croisades. Et le remplaceront alors, ces douteuses filiations issues d'une ménagerie, ces parentèles fondées sur la diversité d'un zoo!

Je vous en conjure, ma chère fille, activez-vous dès aujourd'hui afin que jamais n'advienne une telle folie! Pensez à vos ancêtres! Ceux-ci, soyez-en sûre, jugeront de là-haut votre pugnacité à contrer ce saccage.

Très affectueusement vôtre,

 

Vicomte Archibald d'Outhon d'Unkidam de Hautetige.

 

 

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Sujet: Votre patient Ernest Raiquemme

 

 

Transmis à l'attention de M. Félix Mariol, docteur en médecine généraliste.

 

Je soussigné Robert Larousse, psychologue clinicien, dûment mandaté par les autorités médicales auprès de l'équipe régionale pluridisciplinaire dénommée « Service de l'intelligence augmentée », déclare avoir procédé à l'évaluation psychologique de votre patient M. Ernest Raiquemme.

 

  1. Le niveau intellectuel initial de M. Raiquemme.

 

Avant l'implantation de deux puces électroniques dans le cortex de M. Raiquemme, il était nécessaire d'obtenir la mesure précise du niveau intellectuel premier de l'intéressé. Et ceci, grâce à la WAIS (échelle d'intelligence de Wechsler pour adultes).

Il apparaît que M. Raiquemme possédait, au départ, un niveau d'intelligence générale se situant dans la zone la plus faible de la normalité (81 de Q.I.).

Par ailleurs, il nous a semblé instructif à ce moment de lui permettre de s'exprimer par l'écrit:

 

            « Vous voulé maider pasque mon cervau, il a des défayences. Merssi. Grasse à vous, je vai         devenir plus malain. Et quan vous disé que sela dépan de plusieur facteurs, je sui bien contant de savoir que la poste s'intérèce à mon problaime. ».

 

      2)   Analyse de la dynamique du couple Ernest Raiquemme – Lucette Lafloche.

 

L'évolution psychologique d'un patient après traitement, se voit parfois contrariée par la structure même de son couple. Il convenait dès lors, de déterminer l'influence éventuelle de la compagne de M. Raiquemme sur celui-ci. Or, d'une façon objective et mesurable, il n'existe chez Mme Lafloche aucune négativité pouvant faire obstacle. Et, les déclarations de celle-ci confirment ce diagnostic:

 

            «  Ernesse, sè mon concubain. Et y en a qui dise qu'il a l'inteligensse d'une moule. Alor sa           serè coûl s'il avait plusse de jujotte. Je parle pa davoir le pri Nobel. Mai con se moke de lui,     sa y faut plu. On a l'argent pour, on a gagné au tierssé ».  

 

      3)   Évaluation après activation de l'implant intracérébral n°1.

 

Depuis dix ans, M. Raiquemme officie en qualité de manœuvre (préposé à l'entretien) au sein de notre bâtiment hospitalier. Celui-là même, où lui ont été prodigués les soins décrits ci-avant. Or, aussitôt dynamisées, ses nouvelles capacités mentales se sont révélées handicapantes pour accomplir ses habituelles tâches manuelles. Et, au vu des plaintes émanant de sa hiérarchie, il convenait de déterminer son seuil de tolérance à la frustration.

Dans ce but, nous lui avons alors présenté le test de Rosenzweig. Mais, l'intéressé a décliné toute collaboration en ce sens. Dès lors, il n'y avait d'autre choix que de laisser M. Raiquemme s'épancher librement sur ses conditions de travail:

           

            « La semaine dernière, il faisait très chaud. Et, le chef a fait du pétard parce que je travaillais     en sandales et sans chaussettes. Selon lui, j'avais trois doigts de pied particulièrement     visibles. Et, que pareil laisser-aller dévalorisait le service. Aussi ai-je aussitôt répliqué: Je         m'étonne, en cette période d'austérité, que l'on paie un contremaître pour compter les           orteils des subalternes. Ce qui l'a foutu encore un peu plus en rogne ».

 

D'autre part, Mme Lafloche nous confirmait les changements d'attitude chez son compagnon:

 

            « L'opéracion d'Ernesse, elle a kouté un os. Mai elle a fonctioné nikel. Respet. Sauf que Ernese, sè plu le maime homme. Mintenan il a un ordinateur. Alor il ai tou le wîkenne sur   se bidul, il ai tou le tant sur Fessebouc ».

 

       4)  Évaluation après activation de l'implant intracérébral n°2.

 

L'amplification considérable des facultés de compréhension et de raisonnement, réclame une progressivité qui a pour but d'éviter l'un ou l'autre choc traumatique. Et, la trajectoire professionnelle de M. Raiquemme correspond à ces divers paliers.

D'abord manœuvre, l'intéressé s'est ensuite investi dans nos bureaux en tant qu'expert-comptable.   Un lieu où ses talents ont permis de renflouer rapidement des caisses habituellement vides. Aussi, ce succès lui a valu par la suite d'occuper un siège au conseil d'administration de notre hôpital.

Depuis lors, M. Raiquemme ne répond plus à mes propositions de rendez-vous. Et, c'est par hasard que je l'ai rencontré au détour d'un couloir. Or, me voir de la sorte l'a visiblement contrarié. De plus, il s'exprime maintenant en employant un ton condescendant, voire méprisant. A cela, je dois ajouter que son dossier a mystérieusement disparu de mon bureau. Il semble dès lors que M. Raiquemme espère un oubli général quant à son singulier parcours.

Là encore, le témoignage de Mme Lucette Lafloche se révèle complémentaire:

 

            «  Ernesse et moi, sè kapoutte. Il sè tiré avec une pétace qui ai docteur. Et depui, il donne           plu signe de nouvelles. Je lai vu l'ôte jour, qu'il promenai leur petit chien ridicul. Sè un yorc     cher, avec des lons poils qui traine par tair, et con dirai croisé avec une balayette. Mai il a fai   semblan de pa me voir (Ernesse, pa le chien!) »

 

  1. Conclusions

 

Il faut en terminer avec cette vision d'un esprit humain parfaitement cohérent. Ce n'est certes pas la raison qui nous fait agir mais, bien souvent, l'instinct de dominance. Dès lors, augmenter l'intelligence de l'homme revient à lui permettre de devancer ses semblables, tout en l'incitant à détruire son environnement. Et, je ne veux plus être le serviteur de ce « toujours plus » qui étouffe une prise de conscience salutaire. Aussi ai-je remis ma démission.

C'est sur ce mode ô combien subjectif, cher docteur Mariol, que je clos ici l'historique de cette « thérapie », laquelle a fait de votre patient un être adapté à la folie du siècle.

 

Robert Larousse, psychologue clinicien

 

 

                                                     

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